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Mikaël Ollivier, l'intimiste enflammé

Jeudi 01 janvier 1970 - À l'occasion des trente ans de la collection "Spécial suspense", Albin Michel nous a invité à rencontrer Lisa Gardner et Mikaël Ollivier. Cet entretien est l'occasion de découvrir un auteur qui a le vent en poupe actuellement. Un de ses romans jeunesse, Frères de sang (éditions du Rouergue) vient d'ailleurs d'être adapté à la télévision. Considéré comme un nouveau pilier de la collection par son éditeur, Francis Esménard, Mikaël Ollivier se démarque par un engouement fort et une verve passionnante. Mikaël Ollivier est un auteur de roman avant d'être un auteur de genre. L'intime lui tient à cœur. L'hôtel Aubusson dans le 6e arrondissement de Paris était l'endroit idéal pour entamer une interview tout feu tout flamme !
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© David Delaporte/k-libre



k-libre : Le roman débute par des scènes intenses d’une grande précision sur un incendie qui est vu d'en haut par un Canadair mais aussi d’en bas par Tiffany. Vous vous êtes documenté ?
Mikaël Ollivier : Oui, je me suis beaucoup documenté pour tout ce qui est Canadair. Comme c’est vraiment un livre où le feu est au cœur de toute l’intrigue – toutes les morts qu’il y aura c’est par le feu -, j’avais vraiment envie d’une grande scène spectaculaire de départ avec, si on emploie un vocabulaire de cinéma, un montage parallèle avec des gens au cœur du feu et des gens qui le combattent. Et donc j’ai eu très vite l’idée qu’il y aurait dans cette intrigue un personnage très important qui est un pilote de Canadair qui s’appelle Târiq. À partir de ce moment-là, moi les Canadairs je n’y connais pas grand-chose alors oui je me suis beaucoup documenté. J’ai beaucoup lu. Par le biais d’un site qui s’appelle canadair.fr, qui est un forum de spécialistes de Canadairs dont font partie les pilotes, et auquel je me suis inscrit, j’ai posé plein de questions aux membres, et petit à petit j’ai réussi à comprendre comment se faisait un vol pour aller combattre un feu. J’ai tenu à décrire ce vol avec réalisme car ces pilotes-là ont des vies assez incroyables et leur activité de pompier de l’air est assez saisissante. Il y avait donc un vrai travail de documentation pour faire cette grande scène d’introduction qui est toute la première partie du livre, et qui est un très gros incendie dans la région de Montpellier.

Qui revient après en Corse avec des thèmes similaires… avec une tempête et des vagues hallucinantes…
Mon personnage est vraiment partie prenante dans l’intrigue et puis il va avoir un lien fort avec l’héroïne Tiffany. Tiffany est photographe et à un moment vers les trois quarts du livre elle va être amenée à faire justement un reportage sur les Canadairs, et comment on combat le feu de l’air. Et donc elle va monter dans un Canadair avec Târiq. Et là je fais monter le lecteur avec eux et il se trouve que c’est un incendie en Corse - l’été il y a toujours des Canadairs détachés en Corse – et qui est particulièrement dangereux parce qu’il y a un vent terrible, que la mer est déchaînée. Or ils vont devoir écoper - remplir les soutes d’eau de la mer – sauf que la mer est à la limite de l’autorisation possible car il y a des vagues tellement fortes qu’ils pourraient arrêter ; sauf qu’ils y vont quand même. Donc il y à une scène effectivement très spectaculaire avec un Canadair qui remplit ses soutes en pleine tempête.

Quand est-ce que vous allez dans un Canadair alors ?
[Rires] Pour l’instant ce n’est pas prévu. On verra. Peut-être qu’il y aura des lecteurs sur la base de Marignane qui m’inviteront. J’en serais ravi !

J’ai l’impression d’avoir lu un livre où les faits, les hommes, les objets sont en conflits permanents. Il y a toujours des oppositions, des choix doubles. Il y a des scènes de juxtaposition. Il y a d’abord le Canadair en l’air puis au sol la police qui enquête, la photographe… J’ai l’impression, c’est peut-être moi, qu’il y a des antagonismes : BMW ou Yamaha pour les motos, Bruce Springsteen ou musique sacrée, pompier ou gendarme… La liste est longue. Dans ces choix, vous êtes qui ?
Moi je suis un peu partout. Les gens qui me connaissent et qui ont lu ce livre me trouvent à plusieurs endroits. Chez Guillaume, le flic, aussi parfois chez Damien [le gendarme]. Beaucoup dans le rapport au temps de Guillaume. Ça c’est beaucoup moi. Mais je suis aussi dans des personnages complètement annexes. Moi ce qui m’intéresse dans les polars comme dans n’importe quel roman c’est la complexité de l’humain. Il y a vraiment une forte intrigue qui est traitée. Il y a une enquête. On veut savoir qui tue. Et il y a des scènes d’action qui ponctuent l’ensemble. Mais ce qui est le cœur du livre comme pour moi dans toute la littérature ce sont les personnages. Tous les personnages, je les traite à fond. Par exemple, leur aspect professionnel. Le flic et le gendarme ils sont traités sur les lieux du crime, ils sont traités au bureau, au cours de leur enquête, mais aussi dans leur vie privée et dans leurs contradictions dont vous parliez, dans leurs doutes – par exemple le flic il a quarante ans, ce qui est plutôt un âge jeune, mais pour lui ça veut dire beaucoup car son père n’a jamais eu quarante ans, il est mort très jeune, il se trouve qu’il va être, lui, grand-père très tôt, tout ça est traité avec autant d'importance que l’enquête sur les incendies parce que pour moi c’est aussi important. Pour moi, une enquête est importante si l’on connaît intimement une personne qui la fait. Et ça c’est valable pour tous les personnages. Des personnages qui sont là du début à la fin, parfois certains qu’on croise. J’aime la complexité de l’humain c’est pour ça qu’il y a beaucoup d’antagonismes, que chacun a son petit conflit interne à régler en plus de cette grosse intrigue qui bouleverse tout ce monde-là. C’est vraiment ça qui m’intéresse dans le polar. C’est ce drame-là. Nous tous avec nos contradictions dans une histoire qui vire au drame.

Vous déclarez sur votre site Internet avoir le sentiment d’avoir franchi une étape en parvenant à faire la synthèse en un seul roman de l’éclectisme de vos couples littérature policière-littérature intimiste. Vous pouvez vous expliquer ?
Alors ça c’est une chose très intime par rapport à l’écriture. C’est mon quatrième polar chez Albin Michel. Au départ, je ne me destinais pas à ce genre. Je me destinais au roman. Tout court. Je veux écrire du roman. Le roman me passionne. Je veux que ma vie tourne autour d’histoires que je veux raconter. Mon premier roman était intimiste, pas du tout polar. Il se trouve que j’ai une idée un jour qui ne pouvait aboutir qu’à écrire un polar. C’était Trois souris aveugles qu’a sorti Albin Michel dans sa collection "Spécial suspense". Et soudain j’étais auteur de polars. Ce bouquin a bien marché. Et ça m’a beaucoup plus de le faire. Je me suis dit "eh bien voilà, tu vas écrire des polars". Je me suis posé des questions d’auteur, d’écrivain : "Qu’est-ce que je veux réellement écrire ? Qu’est-ce qui compte pour moi dans un livre ?" Est-ce que c’est d’enchaîner les polars et les mécaniques polars, et d’apprendre un savoir-faire que je ne maîtrisais pas encore ou est-ce que c’est ce que je voulais faire jusque-là c’est-à-dire essayer de rendre l’intime universel ? Me servir de mon expérience d’être humain lambda pour écrire des histoires qui vont toucher des gens dans leur intimité à eux ? Et ça ça a été un débat interne que je me suis longuement posé. En alternant des romans intimistes parfois pour la jeunesse parfois pour adulte, et des polars. Et quand j’ai commencé La Promesse de feu, mon quatrième polar, je me suis attaché très vite à mes personnages, et j’ai essayé de me lâcher. Je me suis dit "Pourquoi te poser tant de questions ? Pourquoi ne pas essayer tout bêtement avec cette histoire, ces personnages, que tu as en tête – j’avais l’idée des deux frères, le flic, le gendarme, et de la photographe, pas le reste à ce moment-là –, de faire un livre qui te sera personnel sans te poser de questions par rapport au genre et par rapport aux lois du genre ?" Je me suis laissé aller naturellement, et j’ai fait ce que j’avais envie c’est-à-dire ce dont on a parlé tout à l’heure : grandes scènes d’incendie spectaculaires, des scènes typiquement polar, et en même temps au milieu de ça je me suis laissé aller à des digressions parfois très longues mais qui sont très importantes pour moi sur l’intimité de mes personnages, sur le rapport du flic à sa fille, à son vieillissement, à son frère ; sur des petits personnages comme l’agent de la photographe, qui n’est pas impliqué dans l’intrigue mais qui pour moi donne de l’humanité à ce livre. Je me suis laissé aller à tout ça et j’ai écrit en toute liberté le livre que je voulais écrire, et en résulte, je pense, mon polar le plus personnel. Voilà ce que je voulais dire dans cette phrase-là. J’ai réuni tout ce que j’aime en littérature dans ce livre-là : à la fois de la littérature de genre que j’aime énormément, le polar, qu’on lit avec une grande histoire forte qui nous tire en avant, et en même temps de l’intimiste avec des personnages que, si tout va bien, on n’oublie pas une fois que l’on a fermé le bouquin.

Les relations parents-enfants revêtent une grande importance dans ce roman. Avez-vous des enfants ?
Oui.

Avez-vous une fille ?
Oui… [légèrement inquiet] Mais qui est plus jeune que Tiffany [rires] J’ai des enfants jeunes.

Oui mais vous sentez-vous dans la peau de votre policier qui se dit "Putain, je vais laisser ma fille dans les bras de ce mec !" ?
Bien sûr ! Je crois que c’est une chose qu’a senti tout père un jour. Moi, pour tout vous dire, je l’ai sentie à la naissance de ma fille. Et j’ai écrit une nouvelle à cette époque-là. C’était il y a dix ans. Ma fille a eu dix ans cette année. Huit mois après sa naissance, donc, j’ai écrit une nouvelle qui s’appelle Apprendre à marcher aux enfants et dans laquelle un père ne supporte absolument pas que sa fille qui a dix-neuf ans lui amène son fiancé qui en plus est plutôt très bien et sympa. Il veut le détester mais bien sûr il ne peut pas, et il a à faire avec cette idée que sa fille, qui est son bébé, à qui il a appris à marcher, à faire du vélo, à lire, à compter, peut devenir une femme, une amante. Voilà, je crois que c’est quelque chose qu’affronte tout père un jour. Et moi j’aime autant faire la paix avec ça maintenant en le mettant dans mes bouquins et laisser la paix à ma fille quand elle aura l’âge [rires] que de garder mes nœuds à l’intérieur. Les bouquins parfois servent à ça aussi.

Vous avez encore un peu de temps avant d’être grand-père.
J’ai encore un peu de temps. J’ai l’âge de mes héros, mais j’ai commencé plus tard qu’eux à avoir des enfants [rires].

Vous abordez avec vos héroïnes – Tiffany et son agent – des penchants quasi homosexuels, qu'on peut tous éprouver à un moment ou un autre. Est-ce que c’est quelque chose que l’on ressent naturellement ?
Je crois qu’il n’y a pas trop de généralités même s'il y a des choses qui sont dites par les psys comme quoi à une époque on a tous des penchants homosexuels. C’est compliqué de le sortir de l’intrigue, par rapport au livre. C’est très lié à l’intrigue et je ne peux pas trop dire pourquoi parce que je ne peux pas dévoiler des choses qui font tout le ressort, le suspense du bouquin, mais oui. Enfin là, l’homosexualité qui est traitée dans le livre est une homosexualité féminine. Elle me paraît très naturelle dans le contexte du livre. Même si elle est très mal vécue par l’héroïne. Après, en dire plus serait révéler des choses sur l’intrigue et serait un peu dommage.

Ça vous fait quel effet d’être une des deux personnes choisies pour les trente ans de la collection "Spécial suspense" ?
Je suis très heureux. Je suis le Français pour les trente ans. C’est une vraie fierté pour moi. C’est une collection prestigieuse menée par un homme – Francis Esménard – qui l’a donc créée il y a trente ans et qui vraiment dans la maison la mène, lit tous les livres très bien ; ça ça m’a bluffé. Quand j’ai commencé à écrire dans la collection, j’ai rencontré Francis Esménard à l’occasion du salon du livre de Paris et il a commencé à me parler de mon livre… Il connaissait les noms de mes personnages, il m’en parlait extrêmement bien, mieux que plein de gens qui m’avaient lu. Pour un patron d’une si grosse maison d’édition c’est rare de lire aussi bien les livres. Et lui il lit tout ça passionnément… C’est vraiment son choix d’avoir pris ce livre-là. Ce n’est pas moi qu’il a pris, je crois que c’est véritablement ce livre qu’il a pris pour les trente ans parce qu’il l’a lu. Moi, je l’ai rendu en janvier dernier. Il l’a lu, il l’a aimé, il avait ces trente ans en point de mire et il s’est dit que ce serait celui-là. Pour moi c’est vraiment la reconnaissance de mon éditeur. Il pense que j’ai franchi une étape personnelle importante et il a choisi de le mettre en avant. Donc, c’est pour moi une vraie fierté par rapport au regard de Francis Esménard.

J’ai envie de vous dire qu’on vous donnerait le bon Dieu sans confession mais pas des allumettes…
[Rires] Oui… Enfin moi je n’ai jamais eu de penchants pour la pyromanie…

C’est ce que disent tous les pyromanes…
C’est ce que disent tous les pyromanes ! Alors bon ! Vous me croyez ou vous ne me croyez pas. Mais j’ai eu un rapport complexe au feu quand j’étais enfant par une personne que j’ai connue. Une enfant qui m’a beaucoup troublé quand j’étais petit. Qui elle avait un vrai vrai problème avec le feu. Et je pense que Tiffany elle vient de là. Elle vient de cette enfant que j’ai croisée quand j’étais petit. Oui…


Liens : Mikaël Ollivier | La Promesse du feu Propos recueillis par Julien Védrenne

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