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De "Cold Case Files" à Chicago Way

Lundi 04 mai 2009 - Michael Harvey est le co-créateur et producteur exécutif de la série documentaire télévisée "Cold Case Files" (à ne pas confondre avec "Cold Case", série fiction). On vient de traduire en France Chicago Way, son premier roman alors qu'il finit son troisième aux States. Un roman tout à la fois proche des enquêtes de la série télévisée, mais avec des personnages très éloignés de ceux de la série. Intéressant. Tout comme cette culture classique qu'il y déploie, dans la ville américaine par excellence qu'est Chicago. Un privé qui lit Homère, Eschyle, Sophocle dans le texte original, voilà qui avait de quoi titiller notre curiosité. Cette rencontre s'est faite avec l'aimable complicité d'Isabelle Jeminet, traductrice émérite.
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© David Turner



k-libre : Chicago Way est votre premier roman. Coup de maître ! Mais au fait, pourquoi un roman ? Après "Cold Case", pourquoi avoir éprouvé le besoin de passer à l’écriture romanesque ?
Michael Harvey : J’avais cinquante pages de Chicago Way dans un tiroir depuis quelques années. Au printemps 2006, j’ai sorti le manuscrit, l’ai parcouru, et ai décidé que je voulais en faire quelque chose. En tant que journaliste et réalisateur de documentaires, j’ai participé à de nombreuses enquêtes sur des affaires de meurtre, interviewé des tas de flics, de procureurs et de meurtriers. Ces expériences imprègnent certainement mon travail de romancier. Ceci étant dit, la fiction est tout autre chose. Je pense qu’en fin de compte, cela demande un acte de foi. Décider que c’est là quelque chose que vous voulez faire, et être prêt à aller là où les personnages et l’histoire vous mènent.

L’action se situe à Chicago, dont on sent combien cette ville vous séduit. J’ai connu la peintre Joan Mitchell, dont le père avait été le dentiste d’Al Capone. Elle me disait que ces villes américaines, L.A., Chicago, etc., étaient d’emblée des décors de cinéma. On a cette impression, à vous lire, que votre Chicago relève de cette vision. À elle seule, réunit-elle presque toute la topologie du romanesque "noir" ?
Absolument. Pour beaucoup, Chicago est la ville américaine par excellence. Ses étendues de gratte-ciel et les rivages apparemment sans fin de son lac attirent. Le Loop, son quartier des affaires trépidant, le vacarme du L, son métro aérien, et le caractère passionné et direct de ses habitants emplissent d’énergie. Chicago donne une chance à tout le monde. Mais il y a sous cela une tension dure et impitoyable, et une quantité non négligeable de dangers. Si vous savez vous y prendre, le monde est littéralement à vos pieds. Si vous ne savez pas, il ne vous reste plus qu’à rejoindre la cohorte des autres, qui groupés sur un quai, attendent le prochain train pour quitter la ville. C’est comme un film pour moi... qui se déroule jour après jour.

Une ville très noire, très dure, où l’on se saisit de l’autre sans ménagement.
C’est un monde cupide, un monde d’avidité et de pouvoir. Il y a ceux qui commettent des crimes pour gagner leur vie, et ceux qui en commettent en dilettante, quand cela les arrange. Et puis il y a des gens comme Nicole, qui s’efforcent d’agir bien et en subissent souvent les conséquences.

Et puis voilà que l’histoire tombe littéralement sur votre privé. Le récit le saisit à la gorge. Quel tournis ! L’intrigue, les personnages, comment tout cela se met-il en place ?
Je suis souvent interrogé sur la manière dont j’organise les choses — esquisse de la trajectoire narrative, grandes lignes des chapitres, etc. La vérité est que je ne fais rien de tout cela. J’ai une idée très rudimentaire de ce par quoi je veux commencer... souvent rien de plus que l’idée d’une pièce dans laquelle sont assises deux personnes. Puis je tâche d’écrire une ligne qui me paraisse authentique. Celle-ci peut être simple, mais elle doit sonner juste. Je la fais suivre d’une autre idée, une autre ligne... et assez rapidement j’ai un paragraphe. Une fois que l’histoire s’est mise en branle, les personnages prennent le pouvoir pour ainsi dire. Souvent j’ai littéralement l’impression qu’ils me sortent de la tête pour aller sur la page et dire où ils aimeraient aller. De bien des manières, en particulier lorsqu’il s’agit de dialogues, je me laisse mener.
Ça c’est pour le début. Une fois que j’ai quelques chapitres qui s’enchaînent, les éléments d’une intrigue commencent en revanche à s’ordonner dans mon esprit. Cela se produit cependant d’une curieuse manière. Je peux rester assis toute la journée devant mon ordinateur (ou avec papier et stylo) à griffonner quelques pages qui ne semblent aller nulle part. Puis je vais courir le long du lac ou promener mon chien. Et tout à coup, des pans entiers d’intrigue et de dialogue se révèlent à moi. C’est comme si mon subconscient avait remâché le truc tout du long. Une fois que j’arrête de mettre de force des mots sur le papier, tout devient clair. Très étrange. Mais c’est ça le processus créatif.

Partout où il passe, votre privé constate que quelqu’un l’a devancé. Un dessein plane, qui l'arrache à toute temporalité autre que... celle du récit lui-même. N’est-il pas comme la condition même du récit ?
Eh bien, le livre est écrit du point de vue de Kelly, donc dans une certaine mesure, oui, il est inévitable que toute l’action se déroule autour de lui et revienne à lui pour finir. La raison pour laquelle il semble se tenir à la sortie du virage dans la plus grande partie du roman est qu’il s’y tient en effet. Dans la réalité, c’est ainsi que travaillent les détectives privés et la police. Ils avancent laborieusement, relevant un indice ici, tirant sur un fil là, et lentement mais sûrement, remontent vers les événements et les criminels qui les ont précédés. Il y a généralement un moment, dans la fiction et dans la réalité, où se produit ce tournant, où l’enquêteur prend le dessus et commence à dicter à l’action et aux événements, plutôt que d’y réagir. Mais cela vient en général en fin d’enquête. Jusque-là, un flic doit faire preuve d’une patience et d’une discipline extraordinaires. Il ou elle doit être attentif aux détails, et être quelqu’un qui refuse de laisser tomber, même lorsque l’enquête semble piétiner.

Votre privé lit L’Odyssée dans la version grecque originelle. Eschyle également, et voit en Diane une personnalité proche de l’Œdipe de Sophocle...
Je vais tâcher de vous répondre brièvement. J’ai commencé à étudier le latin quand j’étais en 5e, à la Boston Latin School, puis ai choisi le grec ancien lors de ma première année de lycée. J’aimais les deux disciplines et ai donc décidé de faire une licence de Lettres Classiques. Du fait de cette formation, j’ai tendance à établir de nombreux parallèles avec les idées de Homère, Platon, Sophocle, Cicéron, etc. Ceux-ci comptent parmi les plus grands penseurs de la civilisation occidentale, et sont de merveilleux observateurs de la condition humaine. Quelle meilleure source d’inspiration pour un roman policier ?
Dans Chicago Way, le parallèle est fait entre Diane (et sa sœur), et le cycle de la vengeance qui est le sujet de L’Orestie d’Eschyle. Dans cette trilogie, Agamemnon revient de la guerre de Troie pour être aussitôt assassiné par sa femme et l’amant de celle-ci. Le fils d’Agamemnon, Oreste, réclame "justice" selon les termes de l’antique loi du châtiment, à savoir en tuant sa mère et son amant. Une fois qu’Oreste s’est vengé, les Furies apparaissent pour tourmenter Oreste et le châtier pour son matricide. De cette manière, les dettes de sang se multiplient et le cycle des vengeances tourne sans fin. Eschyle décrie cette ancienne pratique antique et préconise un système de lois substituant le jugement de la société (un jury) au code personnel de la vengeance. Il s’agit pour l’essentiel des prémices de notre justice pénale moderne. Dans Chicago Way, nous sautons quelques milliers d’années (!!) jusqu’à aujourd’hui. Le système pénal qui nous retient de nous venger s’est effondré, et les gens recommencent à faire justice eux-mêmes. Dans ce cas-ci, il s’agit d’une femme qui a été abusée. Sa décision de mettre en œuvre sa propre forme de justice représente un retour aux pratiques dangereuses que nous voyons dans L’Orestie d’Eschyle, et a des conséquences tragiques pour Diane et sa sœur.

Les personnages semblent non seulement se jouer du privé mais de nous, lecteur.
Je ne cherche pas tant à induire le lecteur en erreur qu’à le pousser à se poser la question : pourquoi ? Pour moi, il n’est pas aussi important de savoir qui est le coupable... que de savoir pourquoi il a fait ce qu’il a fait. Cette seule question aide souvent à révéler l’essence du personnage... et le personnage mène l’action et l’histoire. Répondez à la question : pourquoi ? Et tout le reste devient clair.

Cela dit, votre privé n’est pas une dupe. Mais pourquoi non, au fond ?
Kelly est un détective dans l’âme. Il ne craint pas de s’en remettre à ses instincts. En fait, il leur fait implicitement confiance. C’est je le pense, ce qui le met à part et lui permet de réussir là où d’autres pourraient flancher.

Avec ce roman, on entre aussi dans la thématique très sombre du viol. Qu’est-ce qui a pareillement motivé votre prise de conscience de la gravité de ce crime ?
En tant que réalisateur de documentaires et journaliste, j’ai visité des pièces où la police entrepose les preuves aux quatre coins du pays. Celles-ci abritent des milliers de dossiers de viols littéralement empilés jusqu’au plafond. Comme je le dis dans le roman, chacun de ces dossiers représente une femme qui s’est fait violer... et qui continue d’attendre une réponse, parfois des décennies plus tard. À qui la faute ? Personne, vraiment. Ou peut-être tout le monde. Les tests ADN coûtent très cher et prennent beaucoup de temps. Les flics, les procureurs et les labos de police scientifique étant déjà surchargés de cas, il est très difficile d’avancer dans les dossiers et d’y chercher des éléments de preuve ADN. S’il en était autrement, on marquerait des points et on arrêterait des violeurs. Cela ne fait aucun doute. Mais il y en a tant… et on a si peu de moyens. Avec le temps, de nombreuses villes des États-Unis réduisent le nombre de cas en souffrance, mais cela reste un problème. Et lorsque vous vous asseyez pour interviewer une victime qui attend toujours la réouverture de son dossier, ce problème acquiert un nom et un visage... et devient tout à fait réel.

Ce qui est typique des années 90 dites-vous encore, c’est qu’on y trouve un tas de salauds pervers. Les archives de la police en offrent le mémorial écœurant avec ses cartons d’hémoglobine, ses caisses de cheveux sous scellés, d’ongles prélevés sur les cadavres. Archives caractéristiques du XXe siècle ?
Certainement. J’ai passé des jours dans des entrepôts pleins de preuves de crimes parmi les plus épouvantables qu’on puisse imaginer : toutes sortes de criminels et toutes sortes de victimes. La chose la plus troublante qui soit est probablement d’ouvrir un carton et d’y trouver une part intime de la vie de la victime... surtout lorsqu’il s’agit d’une personne jeune. Vous pouvez tomber sur une lettre ou un journal intime, une collection de disques ou même un bracelet ou un peigne. Vous prenez conscience que cette personne, aussi jeune et fraîche qu’elle paraisse, est morte, parfois depuis des années, et que sa mort a été une mort violente et soudaine. Lorsque cela arrive, vous commencez à prendre la mesure du trou fait dans le tissu de la vie. Des fragments de douleur qui ne disparaîtront jamais vraiment.

L’action, par la suite, ressortit au serial killer. Vous évoquez la double obsession de ce type de meurtrier : "contrôler le présent et revivre le passé", "deux puissants narcotiques", affirmez-vous avec justesse. Là où l’écriture puise en partie ses ressources ?
Oui je suppose. La différence (tout du moins une des différences) est que l’écrivain créé et contrôle un monde qui n’existe que dans notre esprit... et qui vise à éclairer et éveiller l’intérêt des autres. Et peut-être rapprocher les gens. Un serial killer cherche à réaliser ses fantasmes les plus sombres. Il se meut dans son seul univers : ses besoins sont tout ce qui compte. La vie humaine n’a pas de valeur, si ce n’est en fonction de ses besoins. Le tueur en série n’a aucun désir de communier avec les gens, ni plus généralement de sens de l’humanité. Il ne cherche que son propre plaisir, quel qu’en soit le coût.

Le dénouement est le résultat d’un fabuleux jeu de manipulations en miroir. Le coupable n’est pas celui que l’on croyait, et la duplicité fonde tous les protagonistes du roman, ou peu s’en faut. Qui en réchappe justement, et pourquoi ?
Nicole est, je pense, la plus fidèle à elle-même. Pourquoi ? Parce qu’elle connaît et comprend l’essence de son être... ce qui est la vérité la plus difficile et peut-être la plus profonde qui se puisse atteindre (du moins est-ce ce que Platon aimerait que nous croyions !). Kelly est en devenir. Comme il se doit.

Avec ce final, qu’est-ce qui pourrait réellement participer de la restauration du système judiciaire tellement ébranlé ?
Notre système judiciaire n’est pas un secteur de l’activité humaine parachevé, et il est donc intrinsèquement imparfait. Cela dit, le système est nettement supérieur à ceux qui l’ont précédé, et espérons-le, sera encore meilleur dans l’avenir. Comment cela peut-il arriver ? Il est nécessaire d’impliquer les gens. Qu’ils participent au système et le réparent, plutôt que de le condamner et se fabriquer leur propre conception de la "justice".

Une question encore, anecdotique, mais qui donne à saisir tout ce qu’il y a d’alerte dans votre écriture romanesque. L’un des personnages "regarde la blondinette de 'Cold Case' sur CBS". Mais les femmes de Chicago Way sont bien loin de Lilly Rush, non ?
Oui, en effet. J’ai interviewé des dizaines de vraies détectives et n’en ai pas trouvé une seule qui ressemble à Lily Rush. Mais, bien sûr, c’est ça la télé.

À propos de "Cold Case", est-il vrai que CBS aurait informé ses producteurs d'une possible annulation en mai prochain, faute d’une audience suffisante ?
Je ne participe pas à la dramatique "Cold Case" programmée à la télé. Je suis le co-créateur et le producteur exécutif des "Cold Case Files", la série documentaire qui a précédé et inspiré le concept dramatique. Nous racontons les vraies histoires de véritables affaires classées, et résolvons des cas réels aux USA et à l’étranger.

Et pour la suite, qu'envisagez-vous ?
Mon second roman, The Fifth Floor, devrait sortir en France dans le courant de 2010. Je suis en train de finir mon troisième roman, The Third Rail. Vous pouvez trouver davantage d’informations sur mon site web.
Encore une remarque personnelle... En dehors de Chicago (et Boston, ma ville natale), Paris est probablement ma ville préférée dans le monde. J’essaie de m’y rendre au moins une fois par an. J’éprouve donc un grand plaisir à savoir mes livres en vente dans une librairie là-bas. Merci et bonjour. Michael Harvey.


Liens : Michael Harvey | Chicago Way Propos recueillis par Joël Jégouzo

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