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Il regarde la cuvette de la ville, cette ville où il va être jugé, obligé de rendre des comptes parce qu'il a fait son travail. Pour avoir tenté de guérir un pays malade.
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Entretien avec Jean-Paul Ceccaldi, autour du polar corse

Jeudi 02 avril 2009 - "Paris n’est plus le centre du monde noir", affirme Jean-Paul Ceccaldi, corse, romancier, ancien commandant de police. En région, et particulièrement en Corse, nombre d’auteurs se sont réappropriés la face noire de leur pays. On assiste même à un mouvement intéressant : depuis les années 1990, des auteurs corses de la "Blanche" se sont mis à la "Noire". Auteur, Jean-Paul Ceccaldi a par ailleurs choisi de publier son dernier roman sur le site lulu.com. D’autres s’apprêtent à le rejoindre, dans une sorte de fronde contre des éditeurs jugés trop timorés. Enfin, il prépare le festival du polar corse et méditerranéen qui tiendra son troisième salon en juillet prochain à Ajaccio. La chose littéraire bouge en Corse. Comment pouvions-nous ne pas y être sensible ?
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© D. R.



k-libre : Vous construisez un personnage récurrent : le "flicorse". Curieux raccourci : un flic corse ? Pourquoi ?
Le métier de flic vous colle à la peau une identité professionnelle. Mon identité d’origine à fleur de peau est corse. Cette double identité est une première explication à ce raccourci qui désigne mon personnage : le commissaire Mathieu Difrade. Dans la police, les Corses se voient, toute leur carrière, désignés comme tels avec, parfois, les préjugés qui s’y rattachent, même si cette identification se veut aussi amicale. Ceci les pousse à plus de solidarité et à travailler le plus souvent ensemble lorsqu’ils sont plusieurs dans un service, ce qui est en général le cas à Paris et à Marseille.

L’action ne se déroule toutefois pas en Corse. Là encore : Pourquoi ?
J’ai quitté la Corse très jeune et je vis plus souvent sur le continent qu’en Corse. Mon métier, je l’ai exercé à Paris et Marseille. C’est une façon d’échapper aux poncifs sur la Corse et les Corses en n’entrant pas directement dans des intrigues qui font de l’île une terre de polars où violence et mort sont données en spectacle. La violence existe ailleurs qu’en Corse. Toutefois, la Corse n’est jamais loin dans mes trois premiers romans. Elle est toujours présente dans l’esprit du Flicorse… Je n’ai pas écrit des polars corses mais des polars dans lesquels le principal enquêteur est corse.

En quoi est-il donc corse ?
Être corse n’est pas une identité à rebours. C’est avant tout être humain et chercher chez les autres les affinités plutôt que les différences. Mathieu Difrade est corse par la part non cartésienne de lui-même, son attachement profond au passé humain de l’île, son humour peut-être et sa façon de prendre la vie avec philosophie. La Corse est une terre de femmes et d’hommes. Au-delà des clichés touristiques, le peuple corse a sa part d’humanité, et son humanisme est le fruit d’une histoire et d’une culture. Toutefois, les Corses d’aujourd’hui sont modernes contrairement à l’image souvent renvoyée par les médias et la littérature. Mathieu Difrade est un Corse d’aujourd’hui qui vit sa corsité sans chauvinisme. Il la revendique, certes, mais il l’assume aussi. Le Corse vit entre l’humour et le drame, l’acceptation et la révolte. C’est cela qui doit transparaître dans le personnage du Flicorse. Le flic est pragmatique et lucide. Le Corse revendique son droit aux chimères et à la révolte.

Vous-même, vous êtes corse, c’est-à-dire ? Peut-on encore être corse aujourd’hui ? C’est quoi pour vous, le fait corse ?
La Corse est toujours présente dans mes écrits et, chaque jour, dans mes pensées. J’ai un très grand respect pour mes compatriotes qui œuvrent pour notre culture. J’assume mon identité culturelle sans communautarisme. Il y a un folklore corse, une culture corse ancestrale, mais il y a aussi une culture corse contemporaine ouverte à toutes les disciplines et toutes les influences, du moins à tous les apports extérieurs qui l’enrichissent. Je refuse l’enfermement identitaire. La culture est en perpétuelle évolution car elle est un échange. Elle doit permettre de vivre ensemble. Le fait corse, c’est l’insularité et la résistance d'une culture à plusieurs vagues de conquérants. La Corse a une langue et une histoire préhistorique. On trouve des textes sur les Corses chez des auteurs latins comme Sénèque. Il y a un mot qui ne plaît pas lorsque l’on parle de la Corse, c’est le mot "peuple", parce qu’il a une connotation autonomiste. Et pourtant, il y a un peuple corse. La corsité, au fond, c’est aussi être désigné comme tel et l’assumer. Ce qui ouvre à un sentiment de solidarité. Il y a aussi le sens de l’honneur, qui fait partie de mon éducation. Une caractéristique largement caricaturée. L’honneur, pour un Corse, est de respecter sa parole, respecter l’autre et se faire respecter. Mais il ne faut surtout pas le dissocier d’une coutume ancestrale d’hospitalité. C’est aussi le courage de résister et de ne pas trahir. Certes, c’est sans doute un peu archaïque mais faut-il tout sacrifier au nom du modernisme ? Un ami m’a dit un jour que le fait d’être corse, dans un monde globalisé, est une chance. Si c’est pour échapper à la globalisation, au mercantilisme et à l’acculturation, c’est une chance. Toutefois il ne s’agit pas pour autant qu’une identité soit le ciment d’une tour de Babel corse, que les Corses deviennent une tour de Babel à eux seuls. Il ne s’agit pas non plus de diaboliser Babel et son cosmopolitisme au nom d’une ethno-nation, mais plutôt de participer à un nouvel enjeu : favoriser les cultures et le dialogue. Félix Castan, l'incarnation de l’humaniste occitan ouvert au monde et à toutes les différences, a écrit que "le fait d’être de quelque part donne conscience que chaque homme est un centre du monde." Les auteurs corses de souche, ou corses d’adoption, sont sujets au même tropisme pour l’île, mais une île tournée vers le monde. La culture n’est pas un champ clos dans lequel on tourne en rond avec, inscrit sur le poitrail, "Je suis corse et j’en suis fier".

Mais alors, votre roman s’organise depuis l’instrumentalisation du jeu de tarot. L’occulte… N’avez-vous pas peur d’une association trop réductrice : la Corse dédiée à l’occulte ?
La Corse n’a pas inventé le tarot et, sur le plan de la cartomancie, les arcanes renvoient à la Kabbale. Le Flicorse se sert surtout de sa connaissance de vieilles légendes corses pour profiler un serial killer et c’est d’ailleurs une légende corse qui va le mettre sur la piste de ce tueur. Il n’y a rien de réducteur, et le tueur a une identité très éloignée de la Corse. Malgré cela, le Flicorse va entrer dans les arcanes de cet inconnu qui a ses propres légendes. Dans ce roman la Corse n’est pas dédiée à l’occulte qu’elle partage avec d’autres cultures. Le cartésianisme est une importation en Corse et il ne résout pas tout. Il a ses limites, dont celles mises par les croyances. Dans le champ de la culture, la raison ne peut pleinement traduire une poésie, une musique ou une œuvre picturale. Tout dépend donc ce que l’on met dans ce mot "occulte". Il peut être réducteur ou ouvrir des horizons. Il est souvent une porte à ouvrir pour comprendre ce qui serait resté dans le silence, dans l’invisible. Il est une incitation à percer un secret. N’est-ce pas le but d’une enquête ? N’est-ce pas le but de la connaissance de l’autre ?… Aux lecteurs qui vont me lire et qui s’interrogent sur le titre Tamo ! Samo !, je leur réponds qu’il s’agit d’une imprécation mystérieuse liée à une légende corse. En Corse, ces deux mots ne veulent rien dire mais donnent à une pierre le pouvoir de rendre invisible. En faisant des recherches, j’ai trouvé des significations dans la langue serbo-croate : Tamo signifie "au-delà" et Samo "seulement"… Étrange ? Non !… Le recours à cette légende est un choix qui se veut littéraire et qui a simplement sa place dans l’intrigue, comme la partie de tarot entre le Flicorse et l’assassin.

Votre typologie romanesque est du reste des plus singulières : Paris y apparaît comme l’espace du crime, du souterrain, du malsain, et la Corse, tout l’opposé. Pourtant, dans l’imaginaire continental, ce serait un peu l’inverse, non ? Paris, ville lumière, et la Corse justement vouée à la vendetta , l’occulte ?
J’ai travaillé à Paris et je peux vous affirmer que la capitale est peut-être une ville lumière sur le plan culturel, mais elle a aussi sa part sombre. La violence y a ses légions plus nombreuses qu’en Corse. Je suis un auteur corse et un lecteur corse. Si j’ai trouvé du plaisir à lire des récits bien écrits comme ceux de Mérimée et d’un Maupassant, lequel nous décrivait comme "une race acharnée à sa vengeance", pour n’en citer que deux, j’ai ressenti comme racoleur le faux exotisme proposé aux lecteurs pinzutti (non corses). Là, on peut employer le terme de "réducteur". Pour le flic corse, qui fait partie de la diaspora parisienne et marseillaise, la Corse est forcément un Éden par rapport à la vision qu’il a de la ville où il travaille. Être corse, c’est aussi, pour moi, lutter contre des préjugés qui caricaturent les Corses et, donc, me caricaturent. Toutefois, je ne pense pas avoir fait de l’exotisme sur la ville lumière... En 1955, un de mes parents, journaliste corse, exaspéré par les préjugés sur la violence des Corses, avait commenté, sous le pseudo de Diogène, les faits divers du continent. Je vous livre son pamphlet en vers…

Tandis qu’au delà de la mer
On peut voir : des meurtres de fous,
Accidents de chemin de fer,
Coups de feu de maris jaloux
Femmes tuant à coups de hache
Jeunes gens à coups de couteau
Chez nous on n’est pas aussi lâches
Pour voir ça, prenez le bateau.

Un gamin tuait sa marâtre
Quand elle avait le dos tourné
Un ivrogne ne faisait que battre
Son épouse et son nouveau-né,
Ici, il n’y a que je sache
De ces modèles de salauds ;
Chez nous on n’est pas aussi lâches
Pour voir ça, prenez le bateau.

Ailleurs on voit des coupe-gorge
Pleins de voyous, de sans abris,
Ici les seuls que l’on égorge
Sont les cochons et les cabris.
Partout on trouve des apaches,
Dans les taudis, dans les châteaux ;
Chez nous, on n’est pas assez lâches
Pour voir ça, prenez le bateau.

Pourquoi diable les Corses se sont-ils mis aux littératures policières, d’après vous ?
Bien entendu, ma réponse n’engagera que moi car je ne suis le porte-parole de personne et surtout pas du diable. Paris a été longtemps le centre du monde noir. Avec l’émergence d’un polar régional, la littérature noire a échappé au jacobinisme. Pourquoi les Corses se sont-ils mis aux littératures policières ? On peut poser la même question aux Catalans, aux Marseillais, aux Siciliens, aux Sardes… et je pense que les réponses se rejoignent. Le polar est un moyen d’expression qui est sorti du politiquement correct avant de quitter sa citadelle parisienne. Après Montalban et Barcelonne, Camilleri en Sicile, Izzo à Marseille et d’autres, le roman noir régional a gagné sa reconnaissance. Même si les grands éditeurs préfèrent souvent traduire les auteurs anglo-saxons, les auteurs provinciaux français, d’abord édités par de petits éditeurs (souvent nouveaux comme eux), apparaissent dans des collections nationales, tout en se réappropriant la face noire de leur ville ou de leur région. Je rappelle que José Giovanni était corse et que, dans ses romans, le Corse Zevaco, inventeur de Pardaillan, utilisait le genre "Cape et d'épée" comme les néo-polardeux utilisent le polar. Il faut savoir que des auteurs corses se sont mis à la littérature policière en même temps qu’Izzo et qu’un éditeur corse a créé une collection Misteri en 1994. Il a publié Les Trois Jours d’Engatse de Philippe Carrese avant que Total Kéops d’Izzo ne le soit à son tour par un éditeur national. Il a également publié des auteurs corses comme Elisabeth Milleliri ou Archange Morelli. Le genre a mis du temps à se développer dans l’île pour des raisons économiques d’abord. Ensuite, les éditeurs corses eux-mêmes étaient plus occupés par des publications historiques, patrimoniales et politiques dans une période de réappropriation par les Corses de leur histoire et de leur culture. Le genre romanesque lui-même avait mis du temps à s’installer dans la littérature corse, issue d’une culture longtemps orale. D’autres genres y étaient plus répandus comme la poésie et le théâtre. Depuis les années 1990, des auteurs corses de polars sont apparus et des auteurs de la "Blanche" se sont mis à la "Noire". La littérature orale corse n'a jamais été fermée sur elle-même et visait à intéresser toutes les classes de la société. Les œuvres circulaient sur l’île, véhiculées par les bergers transhumants, les marchands ambulants, les colporteurs et de simples voyageurs. Elles s'exportaient parfois au-dehors, notamment vers les îles voisines comme la Sardaigne qui est la plus proche. La diffusion de la littérature orale n'avait pas de frontières matérielles et morales. Les créations littéraires insulaires ont subi des influences extérieures et, en particulier, venues d’Italie, géographiquement proche. La littérature orale insulaire s’est donc formée à partir des mélanges de plusieurs littératures populaires et étrangères. La littérature noire et policière, héritière naturelle de l’oralité, a donc sa place en Corse. La Corse ne pouvait pas rester simplement le décor de la littérature policière parisienne, et les Corses leurs acteurs. Des auteurs corses se sont donc réappropriés le genre… Le polar qui reste un genre populaire a pris sa place et a trouvé ses lecteurs en Corse. Il lui reste à s’expatrier malgré les difficultés de diffusion rencontrées par les auteurs.

Croyez-vous réellement qu’en Corse soit en train d’émerger une nouvelle littérature policière ? Une nouvelle manière d’écrire le noir ? Je songe ici au fantastique Nimu, de Jean-Pierre Santini.
Une nouvelle manière d’écrire la Noire n’émerge pas qu’en Corse. L’un des chantres d’un renouveau du genre est l’illustre Mexicain Paco Ignacio Taïbo II et je pense que Jean-Pierre Santini est un écrivain corse qui incarne ce renouveau en Corse. Les genres poussés à leurs extrêmes en arrivent à faire exploser leurs propres limites et débouchent sur des formes métissées, hybrides, dans des romans ouverts à tous les genres et donc forcément baroques tout en conservant la tension du noir. J’ai beaucoup aimé Nimu, polar d’anticipation dans un scénario catastrophe. Bien sûr, il a touché aussi ma sensibilité corse qui s’interroge sur la désertification des villages et l’avenir de notre culture. C’est l’un des meilleurs romans noirs écrits en Corse, sur la Corse et par un Corse. Jean-Pierre Santini ne nous a pas tricoté un récit pour nous tenir chaud l’hiver. Il défait maille par maille dans son intrigue l’armure de l’égoïsme qui, comme une camisole, enferme chaque Corse et ses habitants les plus vulnérables dans la solitude et le silence d’une île à l’abandon. Et si, en 2033, la Corse connaissait un cataclysme ? Si ce silence et cette solitude étaient eux-mêmes ensevelis ou noyés sous un Tsunami ? Que resterait-il ? La constatation du désastre, de la catastrophe naturelle. La Corse mourante euthanasiée par une Nature qui, pillée et négligée, se déchaîne. Ce roman a été édité en 2006 dans la collection "Néra" des Éditions Albiana et montre qu’il y a bien une nouvelle manière d’écrire le noir, pas qu’en Corse, mais même en Corse.

Quelles en seraient les tropes, les valeurs ?
Les auteurs corses sont habités par le passé humain de la Corse et leur archéologie intime est faite des couches mnésiques insulaires mais ils font partie de la Corse du XXIe siècle. De nos jours, ils ont une double culture corse et française (avec le non-dit de la proximité géographique et historique de l’Italie), tout en se découvrant des points communs avec d’autres peuples de la Méditerranée. Cette double culture a été d’abord perçue comme un danger, celui de perdre, en même temps que la langue, l’identité corse. Malgré les efforts accomplis, le risque existe toujours, mais il est moins important que celui de l’enfermement. Ce qui fait la spécificité de la littérature corse est aussi son existence parfois conflictuelle entre deux cultures, l’une corse orale et originelle, l’autre française, écrite et imposée. La littérature corse a d’abord affirmé son identité avec ce que l’on appelle le "riacquistu". Ce sont des Corses qui racontent l’histoire de la Corse, sa résistance et ses révoltes, sa mythologie, ses légendes… À l’héritage de l’oralité (contes, nouvelles, théâtre et poésie) s’ajoutent les essais et les romans. Les auteurs corses veulent parler eux-mêmes de ce qu’ils connaissent, de ce qui les habitent… Ils expriment ce que chaque Corse porte en lui et qui est différent du cartésianisme importé. Les écrits corses, d’expression française ou en langue corse, ont leur propre musique. Il y a aussi au fond de chaque Corse une révolte au sens où Camus l’exprimait lorsqu’il a écrit "Je me révolte, donc nous sommes". La littérature est, en Corse comme ailleurs, un des derniers espaces de liberté et elle tire ses valeurs de cette liberté toujours à prendre. Pour revenir à Jean-Pierre Santini, un ouvrage comme Nimu est le résultat de plusieurs années de militantisme, mais aussi l’œuvre d’un écrivain qui a touché à tous les genres littéraires. Il y a d’autres auteurs qui ne sont pas rangés dans la case "littérature noire" mais qui écrivent des romans et des nouvelles très sombres. Je pense à Jérôme Ferrari publié chez Acte Sud et à Marcu Biancarellu qui écrit, dans plusieurs genres dont le théâtre, en langue corse avant d’être traduit.

Je voudrais évoquer ce qui, à mes yeux, relève d’une singularité narrative dans votre roman. Le terrain de l’intrigue, c’est la procédure. Mais… l’enquête n’est-elle pas par essence routinière ? Qu’y a-t-il donc dans cette "routine" qui permette l’élaboration du romanesque ? Ce qui relève du terrifiant de l’enquête : sa fragilité ?
La théorie de Kehlweiler dans un roman de Fred Vargas, m’apparaît juste. Le policier doit se servir de ses deux mains… La main gauche imparfaite, malhabile, hésitante, et donc productrice salutaire du cafouillis et du doute, et la main droite, assurée, ferme, détentrice du savoir-faire. Avec elle, la maîtrise, la méthode et la logique. Le paradoxe de la routine policière, c’est qu’elle est à la fois un outil d’objectivation par l’application de règles procédurales, et un facteur d’erreur judiciaire. La procédure judiciaire apparaît routinière. Elle est écrite et donc donne lieu à un formalisme qui génère une paperasse volumineuse. Rapidement, le policier va avoir l’impression de répéter à chaque enquête le même cheminement, et cette routine va lui donner le sentiment d’être, à chaque fois, le simple rouage d’un destin tout en croulant sous les exigences de la procédure écrite. Malgré cela, il doit se garder de devenir le ludi magister d’un jeu de rôle et de se prendre pour le Prospero de La Tempête de Shakespeare. J’ai voulu me servir de la procédure et de sa routine pour coller au plus prés d’une enquête judiciaire. Les erreurs et le doute font avancer les enquêtes. L’enquête judiciaire n’a-t-elle par pour but de découvrir et donc de connaître un individu ? L’enquêteur doit aussi prendre conscience de la part importante qu’il représente lui-même dans l’enquête, alors que son premier souci est de rester objectif. Finalement, la seule chose qui peut emballer la machine ou l’arrêter, c’est le facteur humain. Dans les affaires d’homicides, si la procédure reste immuable, l’aspect humain ne l’est pas. Donc ce qui permet l’élaboration du romanesque, c’est l’aspect humain face au fatum de la routine policière. Un polar réaliste s’inspire de la réalité. C’est une lapalissade, mais je n’écris pas pour transmettre un savoir greffé sur ma trajectoire du policier. J’écris des romans et non pas des essais documentaires sur la réalité policière. Et puis j’écris d’abord comme je lis, c’est-à-dire par plaisir. Alors, ensuite, si ce plaisir est partagé, j’en suis comblé. Selon Claude Roy : "La littérature est parfaitement inutile ; sa seule utilité est qu’elle aide à vivre." Bien sûr, si elle pousse à la réflexion et éveille des consciences, c’est un plus important. Ce serait toutefois prétentieux de revendiquer le statut d’éveilleur des consciences.

Vous publiez votre roman sur le site www.lulu.com. Il n’a donc pas trouvé preneur chez un éditeur plus conventionnel ? Ou bien est-ce un choix délibéré ? J’ai pu observer du reste que vous aviez monté pour ainsi dire un collectif, utilisant Lulu pour publier. Pourquoi ?
J’avais un éditeur corse et ce livre a été publié. J’ai rompu le contrat avec cet éditeur pour des raisons qui ne concernent que lui et moi. Cette expérience m’a enlevé l’envie d’en trouver un autre pour l’instant, dans la mesure où j’ai pu éditer moi-même mes trois romans en toute liberté, que cette solution me convient bien et que j’ai des contacts amicaux avec d’autres éditeurs. Je n’ai pas été le seul à faire ce choix…

Je me suis laissé dire que vous montiez un collectif d'auteurs. Pouvez-vous nous en parler ?
Beaucoup d’auteurs amis ont des problèmes d’édition et de diffusion avec leurs maisons d’édition. Nous envisageons de nous regrouper sous forme associative pour créer notre propre édition. C’est à l’état de projet.

Vous préparez le Festival du polar corse et méditerranéen qui tiendra sa troisième édition en juillet prochain à Ajaccio. Pouvez-vous nous en parler ? Qui, pourquoi cette initiative, quel écho a-t-elle déjà rencontré ?
Ce festival du polar unique en Corse est maintenant installé et son succès l’a amené à sa troisième édition en juillet 2009. Nous essayons de l’étoffer chaque année davantage en y organisant des rencontres et des animations. L’année dernière, Michèle Witta, fondatrice de la Bilipo, nous a fait l’amitié de sa présence pour animer un débat. Nous espérons la revoir bientôt. Ce festival rassemble de 30 à 40 auteurs corses et méditerranéens. Les auteurs corses de polars sont de plus en plus nombreux et cet événement voit passer de nombreux lecteurs corses mais aussi des touristes qui découvrent l’existence des auteurs insulaires, la plupart n’étant pas distribués hors de l’ïle. Cette année nous organisons avec la collectivité territoriale corse un concours de nouvelles policières en langue corse. Il y aura des tables-rondes, des lectures et des animations musicales. Tous les renseignements seront mis en ligne sur le site Corsicapolar.eu.

Et la suite, en ce qui vous concerne personnellement ? Tant au niveau de votre création personnelle qu’au niveau des écritures policières au sens large ?
Je viens de terminer un polar inhabituel avec Ida Der-Haroutunian, enseignante qui écrit là son premier roman. Il s’agit d’un double je (féminin/masculin) sous-tendu par deux identités (arménienne/corse) portant un regard contemporain, par le biais d’une intrigue policière, sur un héritage culturel lourd, mais abordé avec une apparente légèreté. Passé et présent se conjuguent pour interpeller un avenir incertain… Je suis par ailleurs en train de revoir huit nouvelles policières écrites (dans un atelier d’écriture) par des lycéens en classe de Bac professionnel du LP Ampère, à Marseille. Le professeur doit en faire un recueil à tirage restreint. Également un projet de web-fictions autour du train corse, entré dans la phase du dossier de production. Je participe à l’écriture de 24 scénarii en cours d’écriture… Enfin, je serai présent à un événement culturel organisé fin avril par l’association corse Isula Viva et j’y animerai un atelier d’écriture consacré à la nouvelle policière… (Liens : http://blog.ifrance.com/flicorse et http://www.corsicapolar.eu).


Liens : Jean-Paul Ceccaldi | Tamo ! Samo ! | Corsicapolar | Corsicapolar Propos recueillis par Joël Jégouzo

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