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S'il n'y avait pas ces deux balles, l'une en dessous du cœur et l'autre sur la tempe gauche, on pourrait presque croire qu'il fait la sieste.
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Arnaud Chneiweiss et le thriller engagé dans les coulisses des hautes sphères

Jeudi 03 mars 2016 - Régulièrement de nouveaux auteurs apparaissent dans le monde de l'édition, apportant la vision d'univers originaux, mettant en scène des héros et des galeries de personnages novateurs. En 2014, avec Meurtre dans l'Eurostar, Arnaud Chneiweiss faisait une entrée remarquable avec ses politiciens et financiers gravitants dans les hautes sphères du pouvoir, dans une intrigue astucieusement menée. En 2016, il revient avec Schiste noir où, cette fois, c'est le monde de l'entreprise, de l'énergie qui sert de cadre à un thriller aux thèmes très actuels. La parution de ce deuxième roman est l'occasion d'une rencontre pour mieux connaître cet auteur très prometteur et son œuvre débutante...
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© D. R.



k-libre : Vous placez vos intrigues dans les plus hautes sphères du pouvoir. Pourquoi ce choix ? Est-ce un milieu riche en potentialités pour des thrillers ?
Arnaud Chneiweiss : Je connais bien les milieux politiques – j'ai été conseiller à Bercy de DSK et Laurent Fabius entre 1997 et 2000 – et les décideurs économiques. Donc cela m'ait facile d'en parler. Eh oui, il est facile d'imaginer des intrigues et des coups bas ! Le pouvoir et l'argent, cela peut rendre fou.

k-libre : Vous utilisez, comme base de vos intrigues, des questions cruciales de la société française comme le besoin d'innovation ou l'indépendance énergétique. Ce n'est pas très courant comme choix. Est-ce votre domaine de prédilection ?
Arnaud Chneiweiss : Ce que je trouve intéressant, c'est de décrire la complexité du monde. Complexité des motivations, des sujets. Les choses sont rarement blanches ou noires, elles sont dans des teintes de gris. Les vérités sont relatives, selon le point de vue d'où l'on se place. Après, je choisis des thèmes dont je sais qu'ils vont rester des années dans le débat public – l'intégration européenne, le gaz de schiste... - donc on peut se lancer dans l'écriture, quand le livre sortira les arguments développés seront toujours pertinents.

k-libre : Pour votre premier roman (mais est-ce votre premier roman écrit ?), qui de l'intrigue ou des personnages s'est imposé tout d'abord ?
Arnaud Chneiweiss : J'ai publié un premier roman de science-fiction, Lecture urgente chez un petit éditeur, puis deux thrillers au Cherche midi. C'est d'abord l'idée de l'histoire. On réfléchit à un sujet, une intrigue, on voit ensuite quels personnages pourraient venir la servir.

k-libre : Vos acteurs ont-ils une vie propre ou réussissez-vous toujours à les canaliser pour les mener où vous le voulez ?
Arnaud Chneiweiss : C'est une très bonne question. En fait, à ma surprise, les personnages finissent par s'incarner et avoir une vie propre. Vous définissez leur caractère, leur vie, mais ensuite quand vous êtes dans l'écriture, vous vous apercevez qu'ils ne peuvent pas faire autrement qu'aller dans telle direction. Ils ont leur logique et vous revoyez du coup vos plans.

k-libre : Les hommes politiques que vous mettez en scène, comme les capitaines d'industrie, sont-ils inspirés de personnages authentiques, sont-ils un assemblage de plusieurs d'entre eux ou faites-vous un protagoniste idéal ?
Arnaud Chneiweiss : C'est sûr que je m'inspire de ce que j'ai vu et entendu. Donc ce sont des assemblages – ne cherchez pas tel homme politique ou tel grand patron –, mais il y a parfois des scènes irrésistibles dans ce que vous vivez au quotidien où vous vous dîtes "Tiens, ça ferait une bonne réplique" ou "Ce lieu, on pourrait le reprendre."

k-libre : Diane K. est sociologue et ethnologue. Après un livre remarqué sur l'univers carcéral, elle s'attache à suivre le quotidien d'un ministre. Pourquoi avoir choisi, parmi tous les ministres possibles, un ministre des Finances ?
Arnaud Chneiweiss : J'ai travaillé plus de dix ans à Bercy, donc c'est un univers que je connais vraiment très bien. Et pour un thriller économique, c'est parfait.

k-libre : Dans Meurtre dans l'Eurostar, vous concevez une intrigue en quatre parties, chacune étant attachée à un personnage. Tous vivent le même événement avec des visions bien différentes. Aimez-vous jouer avec les apparences et la fragilité de la perception humaine ?
Arnaud Chneiweiss : J'ai adoré faire ça. Et il y a un message derrière : la vérité est relative. Selon ce que vous savez, ce que vous avez vécu récemment, vous allez vivre des événements avec un regard différent de votre voisin. Vous interpréterez différemment les mêmes phrases. Vous ne voyez pas exactement les mêmes choses. Et du coup vous en tirez des conclusions différentes, alors qu'en gros vous avez assisté à la même chose. C'est fascinant.

k-libre : Vous décrivez, avec beaucoup de réalisme, l'arrêt de l'Eurostar dans le tunnel et les conséquences sur le comportement des passagers. Avez-vous vécu une telle situation ?
Arnaud Chneiweiss : Non ! Heureusement pas à ce point, même si on a tous vécu des galères, des trains en panne, des retards d'avion... Mais c'est inspiré de faits réels, des incidents terribles pour les Eurostar en plein hiver qui avaient donné lieu à une Commission d'enquête franco-britannique. Le rapport avait été publié et je m'en suis inspiré pour décrire les lieux dans le tunnel. Dominique Baudis avait été pris dans l'un de ces trains et avait dénoncé la manière dont les passagers avaient été traités. Et de fortes rumeurs avaient filtré sur le fait qu'une vedette féminine de la mode avait été exfiltrée du train, seulement elle...

k-libre : Vous imaginez un scientifique qui découvre le principe physique pour accéder à l'invisibilité. Est-ce une découverte possible dans l'état actuel de la science ou cela relève-t-il encore de la science-fiction, une version inversée de celle imaginée par H.-G. Wells ?
Arnaud Chneiweiss : Ce n'est pas du tout de la science-fiction. Il y a une véritable course à l'invisibilité, avec beaucoup de recherches et des publications sur le sujet. Le principe est simple : dévier les ondes, mécaniques ou lumineuses, les faire contourner un obstacle puis reprendre leur chemin initial. Cela intéresse les militaires bien sûr, mais les applications civiles peuvent être nombreuses, en médecine ou pour dévier les ondes des tremblements de terre. De minuscules objets ont déjà pu être dissimulés. Donc ce n'est pas absurde d'imaginer que d'ici dix à quinze ans on pourrait camoufler des objets de grande taille. Ce serait vertigineux.

k-libre : Votre livre est paru en 2014, mais vous intégrez des problématiques très actuelles. Ainsi, vous redessinez l'Union européenne : le Royaume-Uni a quitté l'Europe, la Belgique a éclaté en deux, une note BBB pour la France... Avez-vous des capacités de voyance ou nombre d'éléments peuvent laisser supposer l'existence de telles situations ?
Arnaud Chneiweiss : Je n'ai aucune boule de cristal mais voilà, si on ne redresse pas drastiquement nos finances publiques nous finirons par mendier auprès du FMI un plan de sauvetage et la tentation du Brexit existe depuis un moment chez nos voisins anglais. Je vous l'ai dit : je prends des sujets dont je sais qu'ils vont rester dans l'actualité.

k-libre : Vous évoquez également une démarche d'unification entre l'Allemagne et la France pour constituer un pays capable de faire front à la crise financière mondiale. Vous citez Victor Hugo qui, en 1871, appelait déjà une union entre les deux pays. Est-ce une utopie ou une hypothèse à forte probabilité ?
Arnaud Chneiweiss : C'est une utopie, je ne me fais pas trop d'illusions. Je suis très européen, je fais partie du dernier carré peut-être de ceux qui pensent qu'il nous faut aller vers davantage d'intégration européenne, plus de fédéralisme. Nous sortirons de nos difficultés par plus d'Europe, pas en nous repliant sur nous-mêmes. Mais je suis aussi pour une Europe à plusieurs vitesses. Nous avons trop élargi et nous nous sommes dilués. Le premier cercle, ce doit être une alliance franco-allemande avec quelques autres pays, qui veulent aller plus loin dans l'intégration politique pour mieux peser dans les affaires du monde. Pourquoi ne pas avoir des Ambassades franco-allemandes ? Unifier nos représentations à l'ONU, au FMI…... Des ministres en commun ? En unifiant les forces, nous pèserions davantage.

k-libre : L'un de vos héros est un homme politique qui a tout fait pour devenir ministre et faire avancer ses idées pour le pays. Des circonstances l'amènent à être dégoûté de la politique et à lui tourner le dos. N'est-ce pas un cas d'école ? N'est-il pas une exception ? Ou aviez-vous besoin de lui, plus libre de ses engagements, pour faire vivre d'autres intrigues ?
Arnaud Chneiweiss : Des déçus de la politique, je pense qu'il y en a beaucoup... Mais c'est une drogue, une passion dévorante. C'est très difficile de tourner la page. Votre vie peut être engloutie par la politique. Donc peu d'hommes politiques sont effectivement capables de retourner travailler dans le secteur privé et de passer à autre chose.

k-libre : Dans tout le roman Meurtre dans l'Eurostar, le ministre des Finances n'est jamais nommé autrement que par son titre. Pourquoi attendez-vous le dernier paragraphe pour lui donner seulement un prénom ?
Arnaud Chneiweiss : C'est une jolie surprise, non ? Pendant tout le roman c'est un personnage froid, l'incarnation de la raison d'État. C'est "le Ministre". Et puis à la toute fin, enfin il a un nom, il redevient un être humain.

k-libre : Dans Schiste noir, vous basez votre intrigue sur le fait que le sous-sol français regorge de gaz et de pétrole de schiste. Mais cette exploitation se heurte à son mode d'extraction qui est très dommageable pour l'environnement. Quelle est la part de fiction quant à ces richesses énergétiques ?
Arnaud Chneiweiss : En fait, on ne peut pas répondre à votre question car on ne sait pas si notre sous-sol est riche ou non en gaz de schiste. C'est là où je dis que la politique française est obscurantiste aujourd'hui : on refuse de faire de simples forages pour savoir s'il y en a ou pas. S'il n'y en a pas, pas la peine de se disputer. Et s'il y en a, il faudra savoir l'exploiter proprement. Mais peut-on refuser de regarder, dans la situation de panne de croissance économique, de chômage au plus haut et de dépendance énergétique où nous sommes ? Il n'y a pas d'énergie parfaite. Le nucléaire nous fait régulièrement peur, le charbon est la pire des énergies fossiles, nous voulons sortir de notre dépendance pétrolière, les énergies renouvelables (le solaire, les éoliennes) tout le monde est pour mais voilà, elles ne sont pas prêtes à prendre la relève... Donc, au milieu de tout ça, le gaz est l'énergie fossile la moins polluante. Il n'y a vraiment pas de raison d'en faire un repoussoir absolu.

k-libre : Dans votre deuxième roman, on retrouve le couple formé de Diane K. et l'ex-ministre, qui porte enfin un patronyme. Trouvez-vous intéressant de retrouver les mêmes héros de roman en roman et de les faire évoluer ?
Arnaud Chneiweiss : Oui je les connais bien maintenant – mes lecteurs aussi. Cela permet d'approfondir la complexité des personnages de les retrouver d'une histoire à l'autre.

k-libre : Vous commencez votre deuxième roman avec votre héroïne scandalisée face à un nouveau scandale d'État. Est-ce monnaie courante pour ceux qui gravitent dans les hautes sphères de la politique et du monde économique ?
Arnaud Chneiweiss : Des scandales d'État, il suffit de lire les rapports de la Cour des Comptes pour avoir pas mal d'idées... Mais ce n'est pas "monnaie courante" heureusement.

k-libre : L'un de vos personnages de Schiste noir fait de fréquentes références à la Bible, citant "L'Ecclésiaste", le passage Qohelet... Est-ce pour vous un livre qui peut constituer une référence dans le monde de la finance, des affaires ?
Arnaud Chneiweiss : Non, je trouvais cela amusant pour incarner le personnage. La Bible peut sans aucun doute être une source de sagesse et de méditation mais je ne dirai pas qu'elle peut être un guide dans la vie des affaires... Ce passage, "L'Ecclésiaste", j'en recommande la lecture à tous, c'est vraiment d'une lucidité inouïe.

k-libre : Les aborigènes australiens, leur mode de vie, leurs croyances occupent une large place dans votre roman. Est-ce un peuple qui vous fascine ?
Arnaud Chneiweiss : Absolument. J'adore avec mon épouse les peintures aborigènes. Nous avons une petite collection. Nous sommes allés en Australie pour mieux comprendre. Voilà un peuple qui a été presque exterminé par les colons anglais, des massacres épouvantables, qui a résisté comme il a pu, et puis qui est en pleine renaissance culturelle. C'est très émouvant.

k-libre : Vous montrez que les structures plus ou moins officielles, plus ou moins étatiques, se livrent des guerres féroces pour conserver leur "pré-carré", sans se préoccuper le moins du monde de l'intérêt général qui est pourtant le fondement de leur existence. Ces situations relèvent-elles de la fiction ou sont-elles le fruit d'observations objectives ?
Arnaud Chneiweiss : Chacun obéit à sa logique. Les hommes, les administrations, les entreprises, les organisations internationales... Chacun essaie d'étendre son territoire, de faire prévaloir ses idées, d'accroitre ses profits. On peut trouver cela froid et cynique, mais c'est mon observation du monde réel. Chacun est dans sa logique, veut faire prévaloir son point de vue. D'où l'importance d'avoir des mécanismes de régulation et de solidarité pour que la vie en société soit possible.

k-libre : Comment êtes-vous arrivé à l'écriture de thrillers ? Est-ce un genre littéraire qui vous passionne et permet d'exprimer nombre d'idées ?
Arnaud Chneiweiss : Le thriller économique, la politique fiction, c'est pour moi une façon de faire passer pas mal de messages de manière j'espère ludique et plaisante. Mais derrière mes intrigues, il y a des idées de fond : pour l'intégration européenne, pour le débat sur les énergies nécessaires à notre développement... Ce sont des "thrillers engagés".

k-libre : Travaillez-vous déjà sur un nouveau roman ? Va-t-on retrouver votre couple de héros ou allez-vous proposer d'autres personnages ?
Arnaud Chneiweiss : J'ai commencé le suivant. Le thème serait la légalisation du cannabis. Pour moi c'est la même logique que le débat sur le gaz de schiste : le débat est interdit, pas politiquement correct. Si vous dîtes que vous êtes pour le gaz de schiste, vous êtes un dangeureux destructeur de l'environnement. Si vous êtes pour la légalisation du cannabis, vous êtes un idéaliste rêveur. Je pense que dans les deux cas le débat mérite d'avoir lieu, car les réalités sont évidemment bien plus compliquées.


Liens : Arnaud Chneiweiss | Meurtre dans l'Eurostar | Schiste noir Propos recueillis par Serge Perraud

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