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Léo Henry entre S-F, polar, trash, alcool et confidences

Lundi 21 mai 2012 - "Avec ce talent, cette inspiration, ce sens de la chute et cet esprit pétillant", c'est ce que Roger Vadim dit à Fredric Brown dans le Rouge gueule de bois, roman de Léo Henry, et ça pourrait parfaitement résumer le talent de l'auteur. Rencontre avec un homme aux multiples voies d'écriture...
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© Patrick Imbert



k-libre : Léo Henry, on ne vous connaît pas et, sur votre site, il n'y a rien d'indiqué sur vous. Certains pensent qu'on se moque de l'auteur, du moment qu'il écrit, mais vu qu'on a l'occasion de vous poser la question, que pouvez-vous nous dire sur vous ?
Léo Henry : Je suis intimidé. Je ne sais pas quoi vous dire.

k-libre : Quel a été le point de départ de Rouge gueule de bois ? Roger Vadim ? Fredric Brown  ? L'Amérique ? Les trois ?
Léo Henry : Au début c'était Brown. Le livre s'est construit autour de lui. C'est un auteur que j'ai beaucoup aimé ado, puis un peu oublié. Quand je l'ai retrouvé, plus tard, je me suis rendu compte que non seulement je n'avais pas à rougir de mes goûts de jeunesse, mais que des gens très différents avaient sincèrement aimé son travail. À la parution de la traduction de The Far Cry (NdR - La Fille de nulle part, 1951), Jean-Patrick Manchette concluait sa critique par "ce livre est un chef d'œuvre". Je ne suis pas peu fier de me trouver du même avis que Jean-Patrick. Ce qui est bizarre, c'est que malgré ça, malgré l'admiration de certains contemporains notables, il n'a jamais été un écrivain important. Il n'a jamais connu le succès. Aujourd'hui, on le connaît presque mieux en France qu'aux États-Unis. J'aime bien cette figure de l'auteur mineur. Il a fait des choses épatantes et des trucs lamentables, tout avec la même énergie. Et puis, dans son travail transparaissait beaucoup de sa vie personnelle, son rapport à l'alcool par exemple. En fouillant la bio, je suis tombé sur l'anecdote problématique d'une rencontre entre lui et Vadim en 1965, époque à laquelle il avait cessé d'écrire pour se tuer à petit feu au brandy mexicain. Au départ, la figure du cinéaste ne m'excitait pas trop. Je n'avais vu aucun de ses films. J'avais peur de tomber sur quelqu'un de déplaisant. Mais il avait adapté en 1968 la géniale bédé de Forrest, Barbarella. Et en parcourant le reste de son œuvre, en lisant ses livres autobiographiques pour mémères, j'ai appris à l'aimer. Ça n'était pas très dur, en fait. Comme Brown, j'ai l'impression que ce devait être un copain épatant. Vadim, enfin, a fait le lien avec les États-Unis des années 1960 et tout le blabla sur la fin du monde. Brown se foutait des sixties, je pense. Il était déjà vieux. Le Français a par contre marqué cette époque en inventant B.B., en rendant visibles les changements dans les mœurs. C'était un hédoniste vrai. Il collait très bien à son temps.

k-libre : Comment avez-vous abordé ce texte qui mêle polar, fantastique, course-poursuite ?...
Léo Henry : Brown est connu pour avoir œuvré dans trois genres : le polar à énigme, la SF plus ou moins loufoque, et le récit réaliste tristoune. Dans les trois, il aimait aussi parler un peu de sexe. L'idée était de faire un livre en trois tiers, polar, SF, fin du monde, et de le saupoudrer de trucs sexys et retenus, un peu Mc Carthy, comme Brown les goûtait. Les méchantes sont particulièrement gratinées.

k-libre : Vous êtes un fan de cocktails ou vous avez "donné de votre personne" pour écrire ce livre aux libations phénoménales...
Léo Henry : Oui, j'aime beaucoup ça. On notera que, dans le livre, c'est surtout Vadim qui est garant des traditions. Il vient de Saint-Germain-des-Prés, haut lieu de beuveries d'après-guerre. Brown, lui, est un pochard plus œcuménique. Il a plutôt meilleur goût dans mon roman que dans la vraie vie, où l'on dit qu'il s'avoinait aux plus tristes piquettes. Dans les romans de Brown, si on compte le nombre de verres bus par chaque personnage dans la journée, on ne comprend pas comment ils peuvent se lever le lendemain. C'est un peu comme Bond qui se lance dans des courses-poursuites en bolide après cinq Vodka Martini. Ces cuites gigantesques sont mon hommage à l'époque magique où tous les gosiers étaient en pente et les foies en titane.

k-libre : Il y a un long vade mecum à la fin de ce livre. Vous pourriez nous faire une petite synthèse sur votre voyage en Amérique ? Était-ce essentiel pour vous de le faire pour écrire le roman ? (Dans ce cas-là on comprend pourquoi vous n'avez pas fait un livre sur un auteur de la Beauce...)
Léo Henry : Le voyage documentaire a été fait après avoir bouclé le roman. Un des thèmes du livre est le rapport au réel. J'ai essayé de travailler ça en recréant des sixties factices, puis en les détruisant sous les yeux du lecteur. Au terme de ce tour de passe-passe, j'ai voulu me colleter à la vraie vie. Au départ, mon récit de voyage était intitulé Le Monde existe, ce qui a bien fait rire un de mes relecteurs (il n'y a jamais cru). Le périple de mes personnages, je l'avais tracé pépère, chez moi, avec une carte, sans me préoccuper de rien de concret. Quand il a fallu que je le suive à mon tour, en transports en commun et dans des zones un peu pouilleuses de pays en crise, ça a été plus coton. C'était un drôle de voyage pas très drôle, au final, entre crise des subprimes, fantômes des guerres d'Irak et d'Afghanistan, tea party, violences frontalières... Mais instructif, pour le moins.

k-libre : Ça représente combien de temps de travail entre voyage, prise de notes, rédaction ?...
Léo Henry : Six mois et un peu plus. D'abord deux mois de doc, pas à plein temps, en parallèle à d'autres boulots. Puis le premier jet en trois mois, à la main. Après, j'ai voyagé un mois. Et puis deux mois de plus pour dactylographier, relire, faire l'index, corriger, etc.

k-libre : C'est votre premier roman. Après de nombreux textes courts, le changement de distance a-t-il été difficile ?
Léo Henry : Pour de vrai, c'est mon quatrième premier roman. Je savais donc ce qui m'attendait. Il y en a deux qui ne sortiront pas des cartons, et un troisième en co-écriture qui devrait voir le jour à un moment ou à un autre. Pas de grosse difficulté à ce niveau-là, donc, d'autant que RGdB n'est pas très gros.

k-libre : Votre style est particulièrement brillant... Question bête, jamais facile de répondre à ça, mais comment faites-vous ?
Léo Henry : Merci. Je n'ai pas de réponse à ça. Les relecteurs font beaucoup pour les livres, les miens ont été parfaits. J'ai eu la chance de bosser avec des gens compétents et sages. Et puis une correctrice qui a l'habitude de débugger du polar a lissé le tout. Ce n'était pas du luxe.

k-libre : Ce roman est publié à La Volte, qui propose là un bien beau livre (couverture, papier, police de caractère, index, carte et vade mecum). Comment s'est faite la rencontre avec cet éditeur, et quel effet cela fait-il de voir un si joli bouquin ?
Léo Henry : Je connaissais La Volte par leurs bouquins (ils sont connus, dans le milieu de la SF, pour avoir publié La Horde du contrevent d'Alain Damasio, un best seller aussi enthousiasmant qu'improbable). J'ai ensuite rencontré plusieurs des Voltés. Et quand j'ai écrit le livre, je pensais un peu à eux, entre autres possibles. On s'est trouvé d'accord dans le bar d'un joli village de Corse, après de nombreuses tournées. La Volte fait du super boulot. Le bouquin est beau grâce à eux tous, et à Stéphane Perger qui en a dessiné la couverture.

k-libre : Sur votre site on peut lire "Deux jours de corrections encore sur Suzie Q, avant de l'expédier pour avis chez des gens sachants (éditeur, critique, nièce de dix ans)." Alors, c'est quoi ce projet Suzie Q ? Un rapport avec le mythique CCR ?
Léo Henry : Suzie Q est l'héroïne d'une série de romans pour la jeunesse. Son nom vient d'un mouvement de danses charleston, malheureusement difficile à décrire. Il n'a pas de rapport direct avec l'œuvre de Creedance Clearwater Revival, pour laquelle j'ai par ailleurs le plus grand respect. En deux mots, c'est du pulp décérébré avec des nazis venus de l'espace. Il y a des mots compliqués, des considérations politiques, des interrogations sur le genre. Ça s'adresse aux fillettes de 10-12 ans.

k-libre : Pour pinailler, et vu que nous sommes entre nous, mais ne serait-ce pas plutôt en 1969 qu'on a marché sur la lune ?
Léo Henry : Aldrin a été le premier homme sur la lune, le 3 juillet 1965, au terme de la mission Gemini 2. Wikipedia vous ment. k-libre : Et pour finir, travaillez-vous sur un autre roman ?
Léo Henry : Avec Jacques Mucchielli, on finit un troisième livre en co-écriture. Après Yama Loka terminus et Bara Yogoï, on continue de parler de Yirminadingrad, une ville fictive au bord de la mer Noire et du chaos. Certains critiques disent que c'est de la SF, d'autres du récit social, c'est en tout cas un peu crado, poisseux aux doigts. Ça parle de destin, d'histoires, de dérive, de marges. Yirminadingrad est un grand terrain de jeu pour nous, malgré son aspect inquiétant. On espère que des gens seront heureux de continuer à nous y rejoindre. Et pour la suite de la suite, c'est encore hush-hush, mais j'aimerais vraiment me lancer dans un gros gros livre qui n'aurait rien à voir avec ce que j'ai fait jusqu'à présent (ni polar, ni SF, ni alcool, ni nazi, ni rien).

k-libre : Des choses à rajouter ?
Léo Henry : Je vous suis très reconnaissant de votre bienveillance. Mille belles choses à vous et vos clients !

k-libre : Merci bien...


Liens : Léo Henry | Rouge gueule de bois Propos recueillis par Christophe Dupuis

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