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Ma vie des autres (213)
Courts récits de 1000 signes. 213 : dans le ventre de la baleine. Je m'enferme dans le coffre de la voiture et j'accompagne ma femme incognito. C'est devenu un rituel. Je me demande même si Maria n'en est pas consciente. Le mardi après-midi, je sais qu'elle ne va pas à la fac. Elle me fait croire qu'elle fait son cours de littérature comparée aux étudiants étrangers, or, j'ai vu qu'à ces heures, elle avait une plage libre dans son emploi du temps. Son manège dure depuis deux ans. Le mien, depuis six mois. J'emporte dans le coffre un coussin, une lampe de poche, un thermos de café, des biscuits et mon téléphone mis en veille pour ne pas me trahir. Après trente bonnes minutes de route, Maria se gare invariablement sur le parking d'un hôtel à l'entrée de Montargis où Lionel l'attend pour leurs petites affaires. C'est notre architecte. On lui doit notre maison. Sa femme est une collègue de Maria. Elle est à la fac, elle, à cette heure-ci. Chez nous, je ne montre pas que je sais. J'espère que ça passera. Je suis un type trop faible pour piquer une crise de jalousie. De toute manière, Maria aurait toujours le dernier mot. L'après-midi, enfermé dans le coffre de la voiture, je médite, je passe mes nerfs ainsi et ça me convient parfaitement. Au moins, en jouant les espions, j'ai l'impression d'agir.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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