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Ma vie des autres (211)
Courts récits de 1000 signes. 211 : tête à claques. Je saigne et je suis couverte de bleus. J'ai mal partout. Je ne peux me tenir debout. Le médecin qui m'ausculte m'assure que je n'ai rien de cassé, mais qu'il me faut faire tout de même des radios pour être sûr. Chris répète à l'envi que je suis tombée toute seule dans l'escalier, alors que moi je l'accuse de m'avoir frappée une nouvelle fois, en y allant fort, cette fois. Il m'a démolie comme si je n'étais pas sa femme, mais son pire ennemi. Comme il est connu, lui, on l'écoute, on ne remet pas en cause ses mensonges. Sociologue à la mode, grand défenseur des classes populaires, il fait partie des bons clients des médias. Personne ne se rend compte que cet homme jovial et charismatique est un type infect dans le privé. Non content de m'empêcher de faire carrière dans l'illustration pour la jeunesse, il me coupe de toutes mes relations. Je subis sa loi en permanence et, lorsque j'arrive à trouver une âme compatissante, il arrive à prouver que je fabule, que c'est moi qui le harcèle et que je suis une mythomane. Pendant que j'essaie de retrouver mes esprits et surtout les mots pour convaincre, je l'entends pleurer sur mon sort. Il dit qu'il a peur que je finisse en hôpital psychiatrique. Le médecin me regarde d'un air entendu quand j'arrive à lui signaler que, pervers comme il est, Chris va jusqu'à mettre sciemment des arètes dans le poisson et des petits os friables dans le poulet pour me rendre malade.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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