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Ma vie des autres (203)
Courts récits de 1000 signes. 203 : lecture improvisée. Je m'interromps en pleine lecture, et sans lever le nez de mon recueil de textes, je dis ce que je pense du gêneur qui commente à voix haute le tableau des interventions successives de l'après-midi. J'ai beau parler dans un micro, ses mots se mêlent aux miens et détournent l'attention des quelques spectateurs assis au fond du chapiteau où se déroule le salon culturel. Comme je m'attaque à lui sur le même ton que j'utilise pour le récit qui nous occupe, le trouble gagne ces personnes qui m'écoutent. Ils ne savent pas si je suis en train d'improviser ou si je lis bel et bien ce qui est écrit sur ma page, et qui étonnamment relate à peu de chose près ce que nous sommes en train de vivre. J'avais usé d'une tactique similaire à l'époque où j'étais acteur, avant ma maladie. On jouait Timon d'Athènes dans une salle bondée. J'avais le grand rôle et de longs monologues à réciter. Sans gêne, des jeunes s'étaient mis à bavarder en haut des gradins. Arrêtant ma tirade, je les ai sèchement invités à poursuivre leur débat sur scène à ma place pour en faire profiter l'assemblée. Le public en entier a été comme électrocuté. Maintenant, j'en profite pour glisser ce souvenir dans mon improvisation, en regardant du coin de l'œil le gêneur s'éloigner. Il a compris le message.
Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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