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Ma vie des autres (159)
Courts récits de 1000 signes. 159 : dans la flotte jusqu'aux yeux. Je me retrouve seule avec un type à avoir choisi le parcours de vision avec masque et tuba. Les autres partent plus loin avec le bateau. Ils plongeront avec la bonbonne sous la surveillance d'un moniteur. C'est ma première promenade sous-marine. Je longe les rochers, la tête sous l'eau et pouvant me rattraper à tout moment au cordon de sécurité qui court le long du circuit. Les poissons sont bien au rendez-vous. J'ai rapidement mal au cœur à force d'être ballotée en position ventrale. Je n'aurais pas dû m'inscrire, d'autant plus que soudain celui qui m'accompagne a des gestes déplacés. Il profite de notre isolement pour essayer de me peloter. Il m'attrape. Je me débats. Je bois la tasse en appelant de l'aide. Le bateau est trop loin. L'endroit où je suis est sans risque. On a même pied. Que je me défende met mon agresseur en colère. Il arrache mon tuba. Je perds mon masque dans la bagarre. Il me pousse sous l'eau comme s'il voulait me noyer. Je ne vois plus rien dans le bouillon, mais j'arrive tout de même à trouver son slip et à lui broyer les testicules, je présume à ses hurlements. Il me lâche pour mouliner des bras autour de lui. Moi, j'avale goulument de l'air sans desserrer ma prise. Grâce au barouf de mon adversaire, ceux du bateau finissent par voir qu'on coure un danger. Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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