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Ma vie des autres (151)
Courts récits de 1000 signes. 151 : faire rire n'est pas rigolo. Je ne peux pas. Il m'est impossible de faire mon spectacle dans ces conditions. Je ne veux pas avoir un handicapé sous le nez avec mon sketch sur les infirmes. Je commence la soirée en me moquant des éclopés. Comment je peux arriver à charrier les handicapés face à un type en fauteuil roulant sur la plateforme réservée aux personnes à mobilité réduite ? Il est juste à ma hauteur au niveau de la scène. Comment font les autres comiques ? Je n'en sais rien. On abuse tous des éclopés pour faire marrer et faire notre beurre. J'envoie mon régisseur pour qu'il règle le problème avec les responsables du théâtre. Il faut qu'on déplace cet handicapé. Je ne veux rien savoir, je ne veux pas discuter. Qu'il soit impossible de l'installer dans les allées pour des raisons de sécurité, je m'en fous. Le public doit pouvoir être évacué rapidement et un fauteuil gênerait pour gagner les issues de secours. Ce n'est pas mon problème. Je refuse de jouer. Tant pis pour les quatre cents personnes qui attendent d'entrer. L'handicapé a été placé avant les autres. On a qu'à le placer en coulisse, côté cour ou côté jardin. Il verra tout aussi bien. Moi, à sa place, si j'étais infirme, je ne viendrais pas à mon spectacle pour entendre qu'on se moque de mes tares physiques ou mentales. Je ne suis pas maso.Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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