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Ma vie des autres (127)
Courts récits de 1000 signes. 127 : un cordial qui arrache. Je ne suis pas un mauvais bougre. Ceux qui me connaissent le savent bien. Évidemment, ce n'est pas à mon entourage que je vais faire des crasses. Avec mon bonnet, mes fausses lunettes de myope et ma moustache postiche, je me balade dans le marché de Noël, muni de mes gobelets et de ma bouteille de schnaps. Je trinque avec des inconnus en les emberlificotant. Je raconte que je viens d'être papa et que je suis tout ému. Tantôt, c'est un beau garçon de trois kilos. Tantôt, ce sont de mignonnes petites jumelles. Les vieux bonshommes solitaires sont toujours prêts à lever le coude pour partager mon bonheur. Tout comme les jeunes couples que je fais rire. Une heure après, ils rigolent moins en se tordant le ventre. Je coupe mon schnaps d'alcool de vidange. J'empoisonne ceux qui mordent à l'hameçon. Beaucoup de gens refusent poliment le verre que je leur présente. En plus des nausées et des vomissements, la saloperie que j'ajoute endommage gravement le foie et les reins. Il peut aussi rendre aveugle ou tuer tout simplement. J'aime bien Noël pour ça. Il m'en faut peu. Rien que les guirlandes électriques me rendent euphorique.Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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