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Ma vie des autres (118)
Courts récits de 1000 signes. 118 : un écrivain pas raté. Au balcon du Crillon, je regarde mon itinéraire de la journée. On m'attend pour des interviews. Je présente mon dernier ouvrage et j'inaugure une exposition au Louvre avec les œuvres que j'ai choisies. Depuis longtemps, je me suis assagi. Quand la ville s'ébroue, j'ai plaisir à déguster un bon moka sur la terrasse en marbre, et non plus n'importe quel alcool fort comme avant. Je ne roule plus depuis longtemps en décapotable avec une fille, les cheveux au vent, à mes côtés. Un chauffeur me conduit là où je dois me rendre. Deux attachées de presse - deux femmes charmantes - m'accompagnent et préparent mes interventions. J'ai de la chance, je suis un écrivain qui a réussi. J'ai suivi les conseils de mon père qui, lui-même, était dans l'édition. Il m'a dit d'écrire sur les petites gens. La vie des malheureux captive ceux qui ne le sont pas, et ce sont ceux qui ne le sont pas qui lisent. On a plus à gagner dans ce sens que d'écrire sur les gens riches, car leur vie n'intéresse personne. Les riches connaissent leur propre vie suffisamment. Ils préfèrent s'émouvoir sur le destin auquel ils ont échappé. Quant aux autres, les potins de la presse people suffisent à les contenter. Grâce aux petites gens du monde entier qui peuplent mon œuvre, j'ai même décroché le Nobel. Pas mal, non ?Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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