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Ma vie des autres (115)
Courts récits de 1000 signes. 115 : couloir d'hôpital. J'attends face à l'ascenseur. Deux femmes de ménage profitent de la pause de midi pour nettoyer la cabine. Elles ont le fou rire quand la porte s'entrouvre. Elles montent, elles astiquent miroir et parois. Elles descendent, elles astiquent encore. Trois fois, elles s'arrêtent à mon étage. Leur rire ne me touche pas. Je comprends qu'elles prennent un peu de bon temps en effectuant une tâche peu valorisante et mal payée. Des patients en consultation comme moi empruntent l'ascenseur. Ils repartent. Le personnel aussi quitte le service. Sans blouse, on ne sait s'il s'agit de médecins, d'infirmières ou de secrétaires. Des ambulanciers cherchent ou repartent avec leurs clients. Je rends son sourire à une jeune femme qui n'a pas l'air souffrante. Je la regarde peut-être avec trop d'insistance, plutôt que de replonger le nez dans mes papiers. Elle sourit de nouveau, patientant près de la porte de l'ascenseur dont le témoin d'appel reste allumé. Il y a des brefs échanges de regards qui sont aussi énergisants que de la caféine. Je la vois une dernière fois qui me regarde en douce dans le miroir au fond de la cabine et je l'entends pouffer. La porte coulisse sur son rire qui me fait l'effet d'un dard. J'avais oublié durant quelques secondes que je n'étais plus rien dans un corps que personne ne voudrait avoir.Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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