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Ma vie des autres (101)
Courts récits de 1000 signes. 101 : la théorie du papillon sans aile. Quand je sens que la colère monte, je m'isole, je fais un break. J'ai tous les médicaments qu'il faut pour me calmer. Je suis pharmacien. Je peux partir une semaine sans que personne n'y trouve à redire. Les employés font tourner la boutique sans moi, ils en sont ravis, je leur casse tellement les pieds. Ma femme n'est pas la dernière à vouloir que je parte. Elle aussi a besoin de décompresser. Il paraît que le mal que j'ai est héréditaire. Je revois mon père en rage casser tout dans la maison à la moindre contradiction. Une chance, il ne battait pas ses enfants. C'est lui qui m'a légué la pharmacie. Je pars sur la côte où je loue une chambre avec vue sur l'océan. Je ne me promène pas dans la cité balnéaire qui ressemble à une ville fantôme de western. Hors-saison, c'est désert. Je reste derrière la fenêtre à méditer sur le sens de l'histoire, ou comment d'infimes décisions peuvent transformer le monde. Par exemple, si Staline n'avait pas autant obnubilé Hitler, celui-ci aurait attaqué Moscou et non pas Stalingrad. La victoire aurait changé de camp. Qu'arriverait-il, là, maintenant, si je laissais la colère m'envahir ? Si je me mettais à tirer à la carabine sur les mouettes, puis sur les gendarmes, est-ce que le fait divers sanglant dont je serais le héros ferait basculer les prochaines élections, donc le sens de l'Histoire ?Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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