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Ma vie des autres (88)
Courts récits de 1000 signes (88). Je vais choper la crève. Ou je vais carrément crever de froid. Je n'arrive plus à bouger les jambes et le bras gauche sous moi. Je suis complètement ankylosé. Dans un sens, c'est mieux que je ne bouge pas si je ne veux pas me faire prendre. Quand la voiture des flics est arrivée, Alaric a pu se tirer en passant par le jardin des voisins, en grimpant sur le toit de la piscine couverte. Moi, je n'ai pas voulu abandonner le butin et je me suis retrouvé coincé dans la baraque. J'ai cherché la meilleure planque possible. C'est tombé sur le congélo dans le garage. J'espérais ne pas y passer des heures. Déjà, au bout de cinq minutes, j'ai senti ma peine. Jamais je ne travaillerai dans un magasin de produits surgelés. Je n'ai pas d'Inuit dans mon arbre généalogique. Ma main droite tient légèrement soulevée la trappe afin de laisser passer l'oxygène. J'y vois un peu par le filet de clarté entre les deux lèvres de caoutchouc. Les voilà ! J'entends la porte de communication entre garage et habitation. Je laisse tomber doucement le couvercle sur moi. Les policiers sont trop futés pour passer à côté d'un congélateur mal fermé. Je suis dans le noir. Je me gèle. J'espère que le mécanisme ne s'est pas coincé et que je pourrais ouvrir. Si j'en ai encore la force.Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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