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Ma vie des autres (56)
Courts récits de 1000 signes (56). Nous avons ricané quand Pascal nous a dit sérieusement que rien n'était immuable et que nous pouvions tout perdre en un instant. Comment un jeune homme de vingt-huit ans peut-il philosopher comme un vieillard revenu de tout ? C'était samedi. Josy et moi, nous avons fêté nos noces de porcelaine en compagnie d'une trentaine d'invités dans une belle demeure grand siècle louée une journée pour l'occasion. Vingt ans de mariage se devaient d'être marqués d'une pierre blanche. Nous les avons tellement bien marqués, ces vingt ans de mariage, que c'est moi qui me prends à l'instant la pierre blanche sur la tête. Josy vient de m'annoncer qu'elle me quittait. Elle a attendu le café pour me le dire. Le lave-vaisselle ronronne derrière nous. Je ne trouve aucun argument valable pour la faire revenir sur sa décision. En la perdant, je perds tout, ce qui me rend sans force. Je n'arrive même pas à me mettre en colère. De l'autre côté de la table, Josy me fait face encore un instant, ses mains tenant la tasse blanche comme un moineau blessé. J'anticipe déjà la place vide. Samedi, vraiment, Pascal nous a porté la poisse. On devrait empêcher certaines personnes de parler, surtout quand ils voient clair. Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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