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Ma vie des autres (18)
Courts récits de 1000 signes (18). Le mistigri de la lâcheté, c'est moi qui l'ai maintenant. Impossible de m'en débarrasser. Je colle mon regard sur les autres et j'essaie de leur attacher dans le dos. Je n'y arrive pas. Une mère avec son bébé passe dans sa poussette. J'ai honte. Je me noie dans ma douleur. Chaque jour où j'arpente les rues, je suis à deux doigts de me jeter sous une voiture. Le mistigri me retient. Il me cravate. Il m'empêche de commettre une bêtise qui ne sert à rien. J'entends pleurer le bébé qui s'éloigne et sa mère le consoler. On me klaxonne. Je laisse passer un couple à bicyclette. C'est comme si je regardais passer le bonheur, mon ancien bonheur. Je vivais heureux dans une autre vie, mais j'ai tout gâché en croyant me sauver. J'ai abandonné ceux que j'aurais dû aimer au moment où ils avaient le plus besoin de moi. Mais je n'ai pas pu supporter les hurlements de mon fils la nuit, toutes les nuits, et ses colères le jour, vingt fois par jour, pour un rien, à cause de son autisme. Clara n'a jamais voulu qu'il entre dans une institution. Alors, je suis parti pour ne pas devenir fou. Le mistigri de la lâcheté a fondu sur moi. Il ne me lâche plus. Sauf quand je me regarde dans une glace où j'ai l'impression d'être un homme tout à fait normal qui vieillit tranquillement. Mille signes. Autant de preuves de vie adressées à autrui que de caractères dans chaque fiction. Chacun à mille existences et chacun est en miettes. "Ma vie des autres" collecte ces miettes et en fait un chemin de cailloux blancs ou noirs qui mène forcément quelque part.
Jan Thirion
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