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vendredi 29 mars

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L’estru corsu du Polar corse : Nimu ("Personne") (III)

MAJ vendredi 29 mars

L’estru corsu du Polar corse : <em>Nimu</em> (
© D. R.

11 mai 2009 - Joël Jégouzo entretient d'étranges relations avec des écrivains corses. Le raccourci est facile, mais si l'on ne pouvait céder à la facilité, ce ne serait pas drôle ! Vous trouverez ici la troisième partie de son étude sur "l'estru corsu" du Polar corse.

Arrêtons-nous sur le très fort roman de Jean-Pierre Santini, Nimu ("Personne"), qui compose la Corse comme l’épopée d’une déroute universelle, ou presque. Il y a mieux en puisant dans la structure même de ce récit, construit comme une procession qui s’enroulerait sur elle-même, recommençant chaque fois le temps et l’espace en récurrences langagières pour relancer le verbe, donc le monde. Ce monde qu’on a laissé mourir de l’avoir remis aux "marchands", comme l’affirme Jean-Pierre Santini (voir entretien). Non qu’il faille nécessairement emprunter au vocabulaire évangélique les raisons de ce reniement, mais parce que l’image est claire. Affaire de mots en quelque sorte, de ces mots qui trop souvent racontent nos aventures avant même que nous les vivions. Ces mots qui "nous posent et nous déposent", dit encore Jean-Pierre Santini, et nous somment, pour échapper à leur emprise, d’enquêter sur nous-même. Or, "toute enquête sur soi est policière", dit-il encore. Et c’est bien cela qu’il faut entendre au fond, dans cette modernité du polar et de l’identité corse, qui requièrent que l’on enquête sur soi quand il n’en reste que les usages les plus plats, sinon les plus vils (soi comme marchandise).

Toute enquête est policière… À construire pour tout dire, dans le relevé patient des traces, des indices, des témoignages capricieux, avant même que de songer aux preuves qui ne viendront peut-être jamais – là où le noir triomphe peut-être, dans l’absence des preuves, et cette insécurité et cette défiance qu’une telle absence commande. Défiance à tout ce que l’on croit rapporter de tangible dans une langue qui ne peut, décidément, que se faire intrigante si elle veut pouvoir dire quelque chose : conspirer, ourdir, manigancer plutôt, se faire l’intrigante des signes trop facilement admis.

Défiance aux mots donc, en tout premier lieu. Et pourtant, en Corse, "tout parle Corse". Mais quel serait, enfin, ce parler Corse ? "Celui de l’effacement, de l’agonie et de la dernière lutte. C’est le parler de celui qui sait qu’il va mourir", assène Jean-Pierre Santini. Que l’on prenne deux minutes le temps de peser une telle assertion. Et même si nous sommes entrés selon lui dans le "Crépuscule des Corses" (Titre d’un ouvrage de Nicolas Giudici, rappelle-t-il), même si "nous sommes à la fin de l’histoire du peuple corse", et même si, justement, parce que nous sommes entrés dans cette fin "il y a [du coup] de l’avenir pour la littérature insulaire" comme pour toute littérature, on comprend que dans cette conscience de celui qui sait qu’il va mourir s’ouvre, béant, un horizon nouveau, inespéré, celui de la nécessité de "donner naissance à une autre histoire".

C’est peut-être là que l’on rejoint aussi l’être du polar, qui est de ne pouvoir renverser le cours des choses : le cadavre est déjà là, le meurtre a déjà eu lieu, ou aura lieu, peu importe. Mais si l’on ne peut renverser ce cours des choses, du moins peut-on en faire le commencement d’autre chose. Le procès peut avoir lieu par exemple, un processus peut être enclenché, ne serait-ce que celui du deuil. S’il n’y a personne (Nimu) d’autre que le cadavre en guise de monde, alors c’est que le monde est à reconstruire et qu’il peut l’être, au terme duquel, de nouveau, une personne pourra surgir, et donc un monde.

Liens : Jean-Pierre Santini | Nimu Par Joël Jégouzo

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