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Avant, au début de sa carrière, en Savoie, ce n'était qu'un flic de papier bien ancré dans des rapports écrits, précis dans un français à faire pleurer plus d'un écrivain reconnu et ça lui suffisait ; son papier s'est peu à peu transformé en cerf-volant grâce à une intuition d'un nouveau genre mêlant observation, écoute et sensibilité.
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mercredi 24 avril

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L’estru corsu du Polar corse : Chjam’è rispondi (II)

MAJ mercredi 24 avril

L’estru corsu du Polar corse : Chjam’è rispondi (II)

11 mai 2009 - Prenons la langue Corse, enracinée dans une forte tradition orale et au fond, aujourd’hui encore malléable. Une langue qui n’a pas achevé son unité linguistique. Voilà qui n’est pas sans évoquer la situation de l’Irlande au moment où Joyce entreprend d’écrire : minoritaire, enfermée dans la domination britannique. Joyce n’écrit pas en gaélique, mais il sait faire chanter sa langue natale dans la langue de l’oppresseur, pliant au passage les règles du roman moderne au grain hérité du plus profond de son histoire. Cette jouissance séminale de la parole à la suture du parlé et de l’écrit, c’est dans son roman qu’il va la faire passer, abusant de phonétiques, jouant du surgissement du son dans le mot. Lisez-le à haute voix, vous l’entendrez bien, allez ! Mais s’il y a de l’hérétique dans cette langue, c’est bien que son souci d’expérimentation formelle coïncide avec une conception batailleuse de la vie. Le vieil irlandais si vieux et d’un coup à la pointe de la modernité... C’est cela que l’on entend ici et là dans le corse qui s’écrit aujourd’hui, au-delà du besoin ontologique d’exister par la révolte, dans et par cette formidable cambriole nourrie des rapines langagières de la vieille langue corse.

Mais ne poursuivons pas trop loin ce parallèle entre l’Irlande de Joyce et la Corse d’aujourd’hui. Encore que l’une et l’autre se soient façonnées par une construction identitaire fondée sur l'opposition à la culture qui les dominait. Ici, l’époque n'était guère propice à la liberté artistique, comme en témoignent la censure et l'exil de nombreux écrivains irlandais, de Joyce à Beckett. Ici toujours, la nation prenait ses distances avec ses repères historiques — la langue gaélique, l'Église catholique, un mode de vie rural — pour se réinventer dans un cadre européen et se démarquer du nationalisme violent qui sévissait dans le Nord. C’est peut-être, toute proportion gardée, ce à quoi la Corse opère aujourd’hui : à revisiter son passé pour l’accomplir autrement. Car voici que dans la régulation qui s’opère, le passé fait de nouveau fond sur l’histoire présente. Il n’est que d’évoquer cette coutume corse séculaire : le Chjam’è rispondi. Il y a là, sans doute, toujours, une voie que les Corses d’aujourd’hui n’ont pas fini d’explorer dans leurs œuvres. (voir l’article de Jean-Paul Ceccaldi à ce sujet, sur son blog Corse noire).

De quoi parlons-nous ? À l’origine d’une joute verbale au cours de laquelle les participants rivalisaient avec des mots scandés a capella. On n’est pas loin du Slam ou du Rap. Impromptu poétique, sur un schéma mélodique répondant à des règles précises, avec un contenu ouvert aux débats de société. Nul doute que la Corse tienne là un filon des modernités à venir ! Imaginez : savoir pareillement syncoper son présent, le plier aux contraintes de l’histoire tout en exposant cette dernière à la (petite) frappe de l’actualité. Faire entrer dans l’insolite d’une voix individuelle une réponse sociétale. Pas étonnant, en outre, que le polar y tienne une place de choix, pour cette raison qu’il porte, mieux qu’aucun autre genre, lui-même trace de la structure Chjam’è rispondi : et la contrainte des règles du genre et la liberté sans laquelle le chant ne serait qu’une rengaine exténuée.
Liens : Jean-Pierre Santini | Jean-Paul Ceccaldi | La Nuit s'achève | Nimu | Tamo ! Samo ! | | 15 2009 Par Joël Jégouzo

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