Contenu
Poche
Réédition
Tout public
Postface de François Guérif
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Laura Derajinski
Paris : Gallmeister, septembre 2017
238 p. ; 18 x 12 cm
ISBN 978-2-35178-591-1
Coll. "Totem", 87
Tord-boyaux pour zygomatiques
Charles Williams est l'un des auteurs américains qui dépeint le mieux la ruralité des Etats du Sud des années 1950, suivant en cela les pas de son illustre prédécesseur, Erskine Caldwell. Le Bikini de diamants (1956), nous est proposé par les éditions Gallmeister dans une traduction inédite de Laura Derajinski, et bien plus fidèle à ce qu'elle était lorsque le roman s'appelait encore Fantasia chez les Ploucs mais n'en était pas moins déjà jouissif. Le jeune Billy, sept ans, est le narrateur (presque) naïf de cette histoire particulièrement rocambolesque. Lui et son père, Pop, viennent passer des vacances chez l'oncle Sagamore Noonan. La femme de ce dernier est à nouveau partie chez sa sœur, ne supportant pas les manières de son mari. Et à mesure que le lecteur va découvrir Sagamore, il va mieux comprendre pourquoi. Sagamore, c'est un filou né qui sait sentir un filon, et qui n'a pas son pareil pour jouer les naïfs. Mais comme le dira Murph, vers la fin du roman, Sagamore, c'est "le seul, véritable et unique génie que j'ai jamais croisé". Du fond de sa vallée, Sagamore alimente toute une population en alcool distillé illégalement sous les yeux impuissants du shérif et de ses deux adjoints. Non pas qu'ils soient mauvais, mais il y a de ces concours de circonstance qui ne les aident pas. Là dessus arrivent un oncle et sa nièce à bord d'une voiture et d'une caravane. La nièce, Miss Harrington, est une jolie poupée qui parle un mauvais langage mais qui va se prendre d'affection pour Billy, à qui elle va apprendre à nager dans un étang dans lequel circule d'étranges courants d'eau chauds. Là dessus arrivent des chasseurs de lapins avec des mitraillettes. Et c'est le début des ennuis pour dans l'ordre : l'oncle de Miss Harrington (qui va mourir), Miss Harrington (qui va disparaître) et Billy (qui va se perdre). Pour Pop et Sagamore, c'est la reprise des affaires à base de dollars sonnants et trébuchants. Parce que, les événements se succédant, les deux frères y ont vu le moyen de s'enrichir au détriment d'un peu tout le monde. Mais c'est sans compter Billy, faussement ou vraiment naïf, qui est un témoin bavard de ce qu'il voit et un acteur du drame que lui seul vit. Ajoutons à la fresque, l'oncle Flint, un illuminé qui vole toutes les planches qu'il trouve pour se construire sa propre arche qui le sauvera du déluge, et qui sera un élément majeur dans la résolution de cette intrigue foutraque. Charles Williams réussit le tour de force de se mettre dans la peau d'un gamin de sept ans, et de décrire ses situations à plusieurs niveaux tout en offrant un roman "adulte". C'est drôle, c'est jouissif, c'est du tord-boyaux pour zygomatiques. C'est surtout féroce comme lorsqu'à plusieurs reprises Sagamore Noonan s'en prend au shérif sous couvert de lui venir en aide, et qu'il le rabaisse sempiternellement au rôle qui lui est dévolu, voire déchu : celui d'un politicard qui a bien mieux à faire que de sauver une femme qui ne vote même pas dans son comté. Ou quand Charles Williams décrypte cette société américaine pour laquelle seul compte le Roi dollar. Plus de cinquante ans après avoir été écrit, ce roman reste d'une actualité tragico-comique.
Citation
Tu peux pas imaginer ce que ça peut faire, il a dit à l'adjoint d'un air rudement amer et découragé. De se réveiller au beau milieu de la nuit, couvert de sueur, à se demander ce qu'il va encore mijoter. Et le pire, dans cette histoire, c'est que même quand t'as découvert ses manigances, tu peux pas le coffrer. Tout ce que tu peux faire, c'est errer ici et là et ramasser les morceaux. Ça fait quarante ans qu'il a pas travaillé, d'après ce que j'en sais. Il a tout son temps pour préparer ce genre de choses, alors il a toujours deux longueurs d'avance sur toi.